De petits fragments qui pèsent lourd dans la balance entre voies de réparation de l'ADN
Lorsque l'ADN est endommagé par des cassures, des enzymes spécialisées se mobilisent pour les réparer et, entre autres activités, génèrent de petits fragments d'ADN. Des chercheurs de l'Institut de pharmacologie et de biologie structurale montrent que ces fragments régulent le choix de la voie de réparation mise en jeu. Cette étude publiée dans la revue
Nucleic Acids Research ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension de la réponse cellulaire aux cassures de l'ADN.
Figure 1: Les fragments d'ADN simple brin (ssO) stimulent l'expression de la réparation par la voie A-EJ.
(A) Des extraits cellulaires déficients pour la C-NHEJ et donc incapables de ligaturer un plasmide linéaire (piste 1), deviennent capables de le convertir en multimères en présence de concentrations croissantes de ssO, (pistes 2 à 7, flèche verte).
(B) L'analyse par cytométrie en flux des CDB montre que 14h après traitement par un agent de coupure de l'ADN (Cali: Calichéamicine), des cellules inactives pour la réparation par C-NHEJ (histogramme de gauche, superposition des courbes orange et verte) deviennent capables, après introduction de fragments d'ADN simple brin (LNA ssO), de réparer une partie des CDB comme indiqué par l'épaulement de la courbe verte dans l'histogramme de droite.
© Patrick Calsou
Nous sommes continuellement exposés à des agents induisant de façon plus ou moins directe des cassures de l'ADN, tels que la radioactivité naturelle terrestre ou les rayonnements cosmiques reçus lors de déplacements en avion. Fort heureusement, notre organisme dispose de mécanismes qui permettent la plupart du temps de faire face à ces dommages potentiellement mortels, notamment en les réparant. Ainsi, pour neutraliser les cassures double-brin (CDB) touchant simultanément les deux chaînes de l'ADN, les cellules humaines possèdent plusieurs voies de réparation. Les deux voies principales consistent soit à rejoindre les extrémités de la cassure par jonction d'extrémités non-homologues (voie conventionnelle C-NHEJ), soit à reconstituer par recombinaison homologue la séquence clivée en copiant son double non endommagé présent dans la cellule (voie RH). La RH nécessite de dégrader l'un des brins d'ADN de part et d'autre de la cassure. Cette dégradation produit de courts fragments d'ADN simple brin, connus pour aider à signaler le dommage à la cellule.
Figure 2: Schéma de la balance entre voies de réparation de l'ADN. En se liant à la protéine de C-NHEJ Ku, les fragments d'ADN simple brin (ssO) détournent la protéine Ku de la cassure double-brin et permettent à l'enzyme PARP de prendre sa place pour activer la réparation par A-EJ.
© Philippe Frit
L'équipe de Patrick Calsou à l'Institut de Pharmacologie et de Biologie Structurale à Toulouse, en collaboration avec le groupe de Steve Jackson au Gurdon Institute à Cambridge (G-B), a évalué directement l'effet de ces fragments d'ADN simple brin sur la réparation des CDB dans des expériences biochimiques et cellulaires. Les chercheurs ont découvert que de courts fragments d'ADN simple brin inhibent la C-NHEJ en inactivant sa protéine clef Ku, tout en stimulant une forme minoritaire de jonction des cassures dite NHEJ alternative (A-EJ).
Ces travaux permettent de mieux comprendre comment la réparation par la voie peu connue A-EJ peut s'exprimer dans les cellules mais aussi d'envisager des stratégies pour piloter la réponse des cellules cancéreuses aux thérapies induisant des CDB.