Selon une étude dirigée par la professeure Linda Pagani de l'Université de Montréal et du Centre hospitalier universitaire pour enfants Sainte-Justine, chaque heure de visionnage quotidien de la télévision au-delà des recommandations à l'âge de 29 mois est associée à une diminution du vocabulaire et des compétences en mathématiques, à une faible participation en classe (laquelle est largement déterminée par la capacité d'attention), à la victimisation par les pairs et aux habiletés physiques au niveau préscolaire. Selon la professeure Pagani, " c'était la première fois qu'une étude comparative de cohortes de naissance strictement contrôlée s'intéressait au lien entre le temps excessif passé devant la télévision par les tout-petits et les risques de problèmes de motricité et de difficultés psychosociales au préscolaire, comme la victimisation par les pairs. Ce lien a été établi par notre étude. Nos résultats suggèrent que les parents devraient être sensibilisés davantage à la question et devraient mieux observer les recommandations à cet égard émises par l'American Academy of Pediatrics (AAP). L'AAP recommande de ne pas exposer les enfants de moins de 2 ans à la télévision et d'en limiter à 2 heures par jour après l'âge de 2 ans. Il apparaît que chaque heure passée devant la télévision au-delà de ces recommandations a de très graves conséquences.
Question : Pourquoi avez-vous réalisé cette étude?
Pagani : La majorité des études sur la maturité scolaire se sont intéressées aux caractéristiques des enfants au préscolaire comme prédicteurs de leur réussite future. Les caractéristiques à l'entrée au préscolaire prédisent l'adaptation psychosociale à long terme et les caractéristiques économiques, comme le revenu et le niveau de scolarité. Mon point de vue est novateur parce qu'il s'intéresse aux facteurs qui prédisent les caractéristiques à l'entrée au préscolaire. L'étude est également originale parce qu'elle se penche sur des aspects fondamentaux de la maturité scolaire qui ont été négligés jusqu'à présent, comme les habiletés motrices, lesquelles prédisent les compétences en activité physique et en lecture, la probabilité de subir de l'intimidation, laquelle prédit les difficultés sociales, et la capacité à réaliser les actions demandées au moment opportun, laquelle est liée aux mécanismes de l'attention, qui sont régulés par le développement du lobe frontal du cerveau.
Question : Qui a participé à cette étude?
Pagani : 991 filles et 1 006 garçons du Québec dont les parents ont fait part des habitudes télévisuelles de leur enfant dans le cadre de l'Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ).
Question : Comment êtes-vous arrivée à la notion d'heure supplémentaire de télévision?
Pagani : L'écart-type est un outil statistique couramment utilisé qui indique ce qui se trouve dans la normale par rapport à une moyenne. Un écart-type par rapport à la moyenne d'écoute quotidienne de la télévision par les tout-petits de l'échantillon (105 minutes) est 72 minutes. Certains des enfants qui ont participé à l'étude étaient à deux, voire trois écarts-types de la moyenne, et leurs indicateurs au préscolaire étaient proportionnellement plus faibles par rapport aux enfants qui étaient à un écart-type de la moyenne.
Question : L'étude s'est penchée sur les habitudes télévisuelles à quel endroit?
Pagani : L'étude ne s'est penchée que sur les habitudes télévisuelles à la maison, soit la forme la plus fréquente. Cela pourrait être une sous-estimation, parce que l'usage de la télévision constitue une activité dans de nombreux milieux de garde.
Question : En quoi ces résultats sont-ils importants au quotidien?
Pagani : Étant donné que les caractéristiques des enfants au préscolaire sont des prédicateurs de leur productivité future, l'identification des facteurs modifiables susceptibles de nuire à la transition vers l'école est un objectif important pour une société productive. Statistiquement parlant, les résultats démontrent des associations modestes hautement contrôlées. Il s'agit pourtant d'effets nets qui suggèrent un parcours développemental pouvant avoir une incidence négative sur les réalisations, sur les relations sociales, sur les habiletés physiques ainsi que sur les choix et les habitudes menant à l'adoption d'un mode de vie sain.
À propos des auteures de l'étude
Linda Pagani, Ph.D., est professeure en psychoéducation et chercheuse dans le domaine des maladies du cerveau au Centre de recherche de l'hôpital Sainte-Justine. Elle se spécialise dans le développement de l'enfant et s'intéresse particulièrement à la maturité scolaire et au développement socio-affectif des enfants. Sa source de motivation est de faire en sorte que chaque enfant puisse contribuer du mieux qu'il peut à la société. Caroline Fitzpatrick, Ph.D., possède une expertise dans le développement de l'enfant et s'intéresse aux capacités athlétiques et cognitives. Tracie Barnett, Ph.D., possède une expertise en épidémiologie et en santé publique chez les jeunes.