Adrien - Lundi 1er Février 2016

Triops et artémies avaient déjà des ancêtres très similaires il y a 365 millions d'années

Les Triops et les artémies sont des petits crustacés branchiopodes vivant dans les eaux douces stagnantes temporaires. Ces animaux sont souvent présentés comme "préhistoriques" en raison de leur forte ressemblance avec leurs proches parents fossiles vieux de 220 à 250 millions d'années. Une équipe internationale composée notamment de chercheurs du Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et la Paléoenvironnements (CR2P - CNRS/MNHN/UPMC), de l'Unité Biologie des Organismes et Écosystèmes Aquatiques (BOREA - CNRS/MNHN/UPMC/UCBM/IRD) et du laboratoire de géologie de Lyon (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon), vient de découvrir de nouvelles espèces beaucoup plus anciennes mais morphologiquement toujours très similaires. Ces travaux ont été publiés le 14 janvier 2016 dans la revue Current Biology.


Exemple actuel de communauté de crustacés branchiopodes d'une mare asséchée de Tunisie.
Illustration © Nicolas Rabet


C'est dans une carrière abandonnée du village de Strud, en Belgique, que l'équipe de paléontologues a découvert ces nouvelles espèces de Triops et d'artémies vieilles d'environ 365 millions d'années. Cette communauté fossile du Dévonien supérieur se compose du notostracé Strudpos goldenbergi, de l'anostracé Haltinnaias serrata et du spinicaudates Gesvesia pernegrei, remarquablement similaires aux représentants actuels de ces groupes, révélant une stase morphologique bien plus longue que ce que l'on pensait.

Comme les communautés actuelles, ces animaux vivaient dans des mares temporaires, ces petites étendues d'eau douce stagnantes s'asséchant de façon périodique et ne fournissant qu'un habitat temporaire, dépourvu de poissons. Les branchiopodes ont réussi à s'adapter à ces conditions extrêmes, grâce à la production de leurs oeufs, appelés "oeufs de résistance", qui leur permettent, comme le font les graines pour les plantes, de survivre aux périodes sèches en attendant que les mares ne se remplissent à nouveau d'eau. Les paléontologues ont également retrouvé des oeufs à l'intérieur de certains fossiles, mais également dans les sédiments, formant une véritable "banque d'oeufs". Cette stratégie reproductive marque une innovation clé ayant permis à ces crustacés de coloniser l'habitat des mares temporaires en s'affranchissant des contraintes environnementales telles que la sécheresse que la vie terrestre impose, à une époque où seuls quelques animaux, essentiellement les myriapodes (mille-pattes) et les arachnides (scorpions et araignées), avaient su coloniser les continents. Du reste, la production de ces oeufs, et le cycle de vie typique qu'ils impliquent, sont très probablement les premiers responsables de la remarquable stase écologique et morphologique de ces animaux.


Malgré leur écologie et leur morphologie générale très stables depuis le Dévonien supérieur, il existe néanmoins des différences notables entre les espèces fossiles et actuelles. En particulier, les oeufs du notostracé Strudpos goldenbergi (environ 70 µm de diamètre soit celui d'un cheveu) sont beaucoup plus petits que ceux produits par leurs descendants (400 µm) depuis le début du Crétacé, il y a environ 125 millions d'années. Cela traduit très probablement un changement du mode de dispersion des oeufs, d'un transport par le vent dans un premier temps alors qu'il n'existait que très peu d'animaux sur les continents, à un transport plus efficace par ingestion des oeufs par les vertébrés, en particulier les mammifères et les oiseaux qui se diversifient fortement au cours du Crétacé. Si les branchiopodes n'ont que très légèrement modifié leur morphologie externe sur des centaines millions d'années, ils ont néanmoins dû s'adapter à l'instabilité et à l'évolution de l'écosystème des mares temporaires.
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