La sénescence est un mécanisme antitumoral majeur associé à un arrêt stable de la prolifération cellulaire. Estelle Nicolas et ses collègues dans l'équipe de Didier Trouche au Laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du contrôle de la prolifération ont montré que le maintien de la sénescence dépend d'une nouvelle classe d'ARN non codants, les vlincRNAs, qui sont caractérisés par leur très grande taille, excédant les 50 kilobases. Ces travaux publiés dans la revue
Nature Communications mettent en lumière de nouveaux acteurs du contrôle de la sénescence susceptibles d'être impliqués dans le vieillissement normal et pathologique ainsi que dans la progression tumorale.
Figure: Résultats de séquençage brin-spécifique d'ARN totaux (à gauche) et de FISH-ARN (Fluorescence In Situ Hybridization, à droite) du vlincRNA VAD, dans des cellules prolifératives et sénescentes. Les données de séquençage et les annotations du génome (RefSeq) sont montrées pour les brins plus (+) et moins (-) de l'ADN. A noter la forte expression en sénescence de VAD (en rouge), un ARN de près de 300 kilobases, transcrit à partir du brin (+) ainsi que la présence d'ARN messagers, notamment sur le brin opposé à VAD (l'ARNm DDAH1 dont l'expression est réprimée en sénescence, brin (-) en noir.
La sénescence cellulaire est considérée comme une barrière anticancer majeure en bloquant la prolifération de cellules potentiellement cancéreuses. Elle peut être induite par différents stress comme le raccourcissement des télomères, les dommages à l'ADN ou une hyperactivité mitogénique par l'activation d'oncogène. Les cellules sénescentes sont dans un état stable d'arrêt de la prolifération et établissent un programme génique spécifique ainsi que des réarrangements importants de la structure de la chromatine.
Les chercheurs ont réalisé une étude à grande échelle de l'expression, dans des cellules prolifératives et dans des cellules rendues sénescentes par l'activation d'un oncogène, des ARN spécifiques d'un des 2 brins de l'ADN, de façon indépendante de l'annotation connue du génome. Ils ont mis en évidence que la sénescence s'accompagne de l'augmentation préférentielle de l'expression d'une classe récemment découverte de très longs ARN non codants intergéniques (vlincRNA), au contraire des autres classes de transcrits analysées qui sont plutôt réprimées. Ces vlincRNA, d'une taille inhabituelle par rapport aux autres ARN, sont transcrits à partir de séquences d'ADN intergéniques dont la fonction était jusqu'alors inconnue.
Schéma: Modèle d'action du vlincRNA VAD dont l'expression est induite en sénescence provoquée par l'activation d'oncogène. VAD agit sur la chromatine en trans au niveau du locus INK4, qui contient trois gènes suppresseurs de tumeurs dont l'expression est activée et importante pour l'arrêt de la prolifération lors de la sénescence. VAD inhibe l'incorporation du variant d'histone H2A.Z sur les promoteurs des gènes INK4 participant ainsi à l'activation transcriptionnelle de ces gènes lors de la sénescence.
Les chercheurs ont identifié et étudié un nouveau membre de la classe des vlincRNA, VAD, dont l'expression est fortement induite en sénescence. Ils ont montré que VAD est important pour le maintien de caractéristiques de la sénescence comme l'arrêt stable de la prolifération et l'organisation de la chromatine en foyers d'hétérochromatine. VAD régule la chromatine en trans en inhibant la présence du variant d'histone H2A.Z sur les promoteurs du locus INK4, qui contient des gènes antiprolifératifs dont l'expression est importante pour la sénescence. Par cette action, VAD favorise l'activation transcriptionnelle de ces gènes et l'arrêt de prolifération associé.
Ces travaux réalisés en collaboration avec les équipes de Carl Mann au CEA, Gif-sur-Yvette, Philipp Kapranov au St Laurent Institute, USA, et Claire Rougeulle à l'Université Paris Diderot, mettent en évidence la fonction de longs ARN non codants dans le maintien de la sénescence cellulaire. Ils mettent également en évidence un lien entre ARN non codants et la régulation de la présence de H2A.Z, une modification majeure de la chromatine. Ces résultats indiquent que de très longs ARN non codants nucléaires sont susceptibles de jouer des rôles cruciaux bien au delà de ce qui était généralement anticipé, notamment dans les processus physiopathologiques liés au vieillissement et au cancer. De plus, du fait de leur taille hors du commun, ces ARN peuvent probablement rendre largement compte de la fonction des régions non codantes qui représentent plus de 90% du génome humain.