Depuis l'arrivée sur Mars des sondes Mars Global Surveyor et plus récemment Mars Odyssey, un faisceau convergent d'indices a montré la présence de glace d'eau dans les premiers mètres de la subsurface des hautes latitudes (60°- 90°) des deux hémisphères martiens. Toutefois, son origine restait inexpliquée. Des simulations climatiques ont été menées par des astronomes de l'Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides (IMCCE, CNRS, Observatoire de Paris) et des chercheurs du Pôle de planétologie de l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL)
(1). Ces simulations montrent que cette glace pourrait provenir d'un réservoir ancien de glace équatoriale formé lorsque l'obliquité
(2) martienne était élevée (avant 5 millions d'années), mais devenu instable durant les épisodes plus récents de basse obliquité. Cette étude a permis de mettre en évidence la possibilité de cycles glaciaires sur Mars, encore plus intenses que sur Terre. Elle est publiée dans la revue Nature du 28 octobre 2004.
Si la présence de calottes glacées aux pôles de Mars est observée depuis plus de trois siècles, les sondes Mars Global Surveyor et Mars Odyssey arrivées en 1996 et 2001 ont montré que des quantités importantes de glace (plus de 70% en volume) étaient aussi sans doute présentes dans les deux premiers mètres des hautes latitudes martiennes.
Il semblait difficile d'expliquer la présence d'une telle quantité de glace si près de la surface: un demi-millimètre de givre d'eau se dépose actuellement en automne et en hiver dans les hautes latitudes, mais cette couche se sublime
(3) entièrement à la fin du printemps. On pensait que cette glace résultait de la diffusion lente d'eau entre le régolite
(4) martien et l'atmosphère, mais les mesures
in situ de porosité des sondes Viking ont montré que le régolite ne peut pas contenir de la glace avec une telle concentration. L'étude menée par les chercheurs de l'IMCCE et de l'IPSL suggère que la solution pourrait provenir des changements climatiques intenses induits par les variations du positionnement et de l'orientation de Mars au cours du temps.
Depuis près de trente ans, les carottages sédimentaires et glaciaires ont confirmé que les changements de l'insolation
(5) à la surface de la Terre résultant des variations lentes de l'orbite et de l'obliquité terrestre sont à l'origine de périodes glaciaires/interglaciaires. Pour Mars, les variations d'obliquité sont chaotiques et beaucoup plus importantes que sur Terre. L'obliquité martienne a en effet varié entre ~25° et 45°, dans l'intervalle de 5 à 10 millions d'années, avant "d'osciller" entre 15 et 35° dans les 5 derniers millions d'années avec une périodicité proche de 120 000 ans.
Un modèle climatique de circulation générale martienne à 3 dimensions, développé par l'équipe de l'IPSL et simulant de façon réaliste le cycle saisonnier de l'eau actuel, a été utilisé pour déterminer le chemin de la glace martienne à travers ces larges variations. Ces simulations ont mis en lumière la redistribution géographique intense de la glace martienne. Lorsque l'obliquité dépasse ~30° (comparée à la valeur moyenne actuelle 25,19°), l'insolation estivale devient trop forte pour maintenir la stabilité de la calotte nord actuelle, provoquant un transfert atmosphérique rapide de glace vers les sommets équatoriaux de Tharsis
(6). De façon remarquable, les flancs de ces sommets présentent des traces morphologiques pouvant résulter de la présence récente de paléo-glaciers. Lorsque l'obliquité repasse au-dessous de la valeur actuelle, la glace équatoriale devient instable et est transportée, non seulement dans les zones polaires, mais aussi dans les hautes latitudes des deux hémisphères. Les zones où se dépose la glace sont similaires à celles trouvées par Mars Odyssey, illustrant ainsi l'équivalent d'un âge glaciaire martien relativement intense.
Evolution de la glace martienne sur un cycle caractéristique d'obliquité:
L'angle entre les flèches blanches et la ligne pointillée repère l'obliquité martienne. A haute obliquité, la calotte nord devient instable et perd chaque année quelques centimètres de glace. Celle-ci se dépose dans les régions équatoriales puis revient dans les hautes latitudes et aux pôles à plus basse obliquité. Quand le réservoir équatorial disparaît, les glaces des hautes latitudes deviennent à leur tour instables. Une partie se sublime et se redépose vers les pôles, participant ainsi à la création des calottes polaires, tandis qu'une autre partie reste piégée dans les hautes latitudes sous de la poussière protectrice.
© ASD/IMCCE-CNRS, d'après Jim Head/Brown University et NASA/JPL.
Comment cette glace a-t-elle pu être préservée ? Comme on l'observe actuellement, il est fort probable que cette glace se dépose avec de la poussière. Lorsque la glace commence à se sublimer, la poussière reste et forme une couche protectrice isolant une partie de la glace inférieure de sa sublimation complète à chaque cycle d'obliquité. Elle permet ainsi la formation "régulière" de dépôts sédimentaires riches en glace de quelques mètres d'épaisseur. Ces dépôts sont bien visibles dans les hautes latitudes et de façon plus spectaculaire dans les calottes polaires. La glace observée par Mars Odyssey serait alors la trace d'un ancien âge glaciaire martien (inférieur probablement à 5 millions d'années), aujourd'hui recouvert par une fine couche de dépôts secs. Si ce scénario était vérifié, de la glace devrait être présente, non seulement dans les premiers mètres, mais aussi sur des centaines de mètres en profondeur. Les radars MARSIS et SHARAD à bord respectivement des missions Mars Express (en cours) et Mars Reconnaissance Orbiter dont le lancement est prévu en 2005, apporteront probablement des informations supplémentaires sur ces réservoirs souterrains.
Notes
1) CNRS / Université Paris 6 / Université Versailles / ENS / CEA / IRD / CNES
2) L'obliquité est l'angle formé par l'axe de rotation de la planète avec le plan de l'écliptique, plan sur lequel la planète tourne autour du Soleil.
3) Passage direct de l'état solide à l'état gazeux.
4) Le régolite est la couche superficielle constituée de poussière et de petits débris.
5) Quantité de soleil parvenant jusqu'à Mars.
6) Tharsis est un vaste plateau de 5 500 km de diamètre sur lequel on trouve les édifices volcaniques Arsia, Pavonis, Ascraeus et Olympus Montes qui ont une altitude comprise entre 20 et 26 km.