Vingt ans après la découverte des supraconducteurs à haute température critique, la compréhension des mécanismes à l'origine de cette supraconductivité est encore loin d'être établie. Un pas important vient toutefois d'être franchi par une équipe du Laboratoire Léon Brillouin (LLB, laboratoire commun CEA-CNRS) qui tend à valider l'un des modèles théoriques en concurrence pour expliquer le processus qui conduit certains composés à base d'oxyde de cuivre à devenir supraconducteurs.
Cette découverte, qui fait l'objet d'une publication le 19 mai dans la revue Physical Review Letters, constitue une étape importante dans la maîtrise de la supraconductivité à haute température.
Depuis la découverte en 1986 des supraconducteurs à haute température critique, la supraconductivité n'est plus confinée aux températures très basses, mais la théorie permettant d'expliquer les performances de ces matériaux à base d'oxyde de cuivre reste à établir. Grâce aux expériences menées par le LLB sur le réacteur expérimental Orphée, les chercheurs viennent de lever le voile sur l'une des phases les plus obscures de ces matériaux.
Paradoxalement, ce n'est pas la phase supraconductrice qui résistait jusqu'ici à la compréhension des chercheurs, mais la phase intermédiaire entre l'état métallique du matériau à température ambiante et l'état supraconducteur, atteint à plus basse température. Cette phase intermédiaire, appelée phase de pseudo-gap, présente de nombreuses propriétés électroniques anormales. Plusieurs modèles théoriques ont été proposés pour décrire cette phase, dont celui du professeur C.M. Varma, de l'Université de Riverside (Californie). Ce modèle postule un ordre caché d'où émergerait l'état supraconducteur de la matière: en dessous d'une certaine température, apparaîtrait un nouvel état de la matière dans lequel des boucles microscopiques de courant électrique se formeraient de manière spontanée. C'est ce type d'approche qu'une équipe du LLB est parvenue à valider.
Pour vérifier cette théorie, les chercheurs du LLB ont fait diffuser les faisceaux de neutrons du réacteur expérimental Orphée sur des échantillons supraconducteurs à haute température critique*. Plusieurs échantillons couvrant les différentes phases de ces matériaux ont été étudiés. Dans la phase de pseudo-gap qui précède la phase supraconductrice, cette expérience de diffraction de neutrons polarisés a mis en évidence un ordre magnétique caché qui serait la signature de ces courants microscopiques circulant à l'intérieur de chaque maille élémentaire. Cette découverte est certainement l'une des clés qui permettra de mieux comprendre les propriétés de ces matériaux révolutionnaires que sont les supraconducteurs à haute température critique et par la suite la nature exacte de la phase supraconductrice à haute température.
La supraconductivité en quelques mots
Découverte aux Pays-Bas en 1911, la supraconductivité est la propriété que possèdent certains matériaux de conduire le courant électrique sans résistance, à condition que leur température soit inférieure à une certaine valeur appelée température critique (Tc). Dans l'état supraconducteur, les courants électriques peuvent circuler sans aucune dissipation de puissance, et, dans le cas d'un système bouclé sur lui-même, de manière quasi-stationnaire.
Lévitation observée dans un état de supraconductivité "froide" (effet Meissner)
Pour la plupart des matériaux, les températures critiques, exprimées en kelvin (K), varient entre 1 et 20 K (soit entre -272 et -253 degrés Celsius), ce qui nécessite un refroidissement à l'hélium liquide. Depuis 1986, des matériaux ayant des températures critiques pouvant atteindre 135 K (-138 degrés Celsius) ont été découverts. Ces matériaux à base d'oxyde de cuivre, appelés supraconducteurs à haute température critique, peuvent être refroidis à l'azote liquide, ce qui rend leur utilisation beaucoup plus accessible.
De nombreux laboratoires sont en compétition à travers le monde pour découvrir les fondements théoriques de la supraconductivité à haute température critique et mettre au point des matériaux supraconducteurs à température ambiante. Les enjeux scientifiques et technologies sont majeurs car les contraintes liées aux très basses températures nécessaires pour atteindre l'état supraconducteur de la matière restent un frein au développement des technologies utilisant la supraconductivité.
* Cette technique permet d'observer la structure atomique et magnétique des matériaux.