Après huit ans de voyage, la mission Stardust de la NASA (programme Discovery) rapportait sur Terre, le 15 janvier 2006, des poussières de quelques microns émanant de la comète 81P/Wild 2. Ces poussières piégées dans un aérogel de silice témoignent de la composition des comètes qui fait encore débat. Formées loin du soleil, les comètes n'ont jamais été portées à haute température et conservent les gaz primordiaux.
Un impact cométaire dans l'aérogel du récepteur
d'échantillons de la sonde Stardust
Des équipes françaises ont participé à cette aventure et reçu pour analyse des grains de la comète, parmi elles, le Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy (CRPG, CNRS). Bernard Marty et ses collègues américains des universités du Minesota, de Berkeley et du Lawrence Livermore National Laboratory livrent cette semaine dans la revue Science les premières analyses de gaz rares de comètes jamais réalisées en laboratoire. Ces gaz présentent des similarités avec ceux piégés dans la matière organique des météorites primitives, avec des concentrations jusqu'à un million de fois plus élevées. Ces données attestent d'un lien génétique possible entre ces objets et d'un processus d'implantation par irradiation précoce par le Soleil naissant. Elles rendent crédible une contribution importante des comètes aux atmosphères des planètes internes. Les équipes scientifiques ont bénéficié, au fil des années, d'un soutien important du CNES et de l'Institut national des sciences de l'univers du CNRS, ainsi que d'un support de la région Lorraine.
Les comètes corps primitifs et lointains du système solaire
Les comètes sont des corps lointains formés au-delà de l'orbite d'Uranus et de la zone centrale chaude du système solaire. Constitués de grains de silicate, de métal, de matière organique, mélangés à des glaces d'eau, de monoxyde de carbone, de méthane et de nombreux autres composés, ils ont pu piéger et conserver de grandes quantités d'éléments volatils. Ainsi, les comètes constituent des reliques des premiers instants du système solaire, conservées au froid durant 4,56 milliards d'années et qui contiennent l'enregistrement des premiers processus de formation du système solaire. Les comètes sont des sources potentiellement importantes d'éléments volatils dont l'eau pour les planètes, notamment pour celles formées dans le système solaire interne pauvre en éléments volatils comme Mars et la Terre. Des perturbations mécaniques dans leur région d'origine leur permettent de prendre une orbite elliptique qui les fait passer périodiquement dans le système solaire interne, ce qui offre la possibilité de les échantillonner et les analyser.
Stardust à la rencontre de Wild2/p
La mission Stardust du programme Discovery de la NASA avait pour but d'envoyer une sonde traverser la queue de la comète Wild2/p, choisie pour des raisons balistiques et pour son introduction récente dans le système solaire interne. Lors de cette rencontre, des grains cométaires sont venus s'implanter dans une cible d'aérogel de silice. Dès leur retour, le 15 janvier 2006, les échantillons ont été caractérisés et confiés pour analyses à un consortium de laboratoires internationaux, comprenant plusieurs équipes françaises
(1) dont le CRPG à Nancy.
Les objectifs étaient de répondre aux questions suivantes:
- quelle est l'origine de la matière cométaire ? (corps interne au système solaire ou capture de corps interstellaires) ;
- quels sont les processus ayant affecté le système solaire naissant ? (irradiation, turbulence...) ;
- avons-nous déjà des échantillons cométaires sur Terre ? En effet, il est probable qu'une partie de la matière extraterrestre arrivant sur les planètes soit d'origine cométaire et pas uniquement météoritique, comme c'est le cas pour ces ~30 000 tonnes par an de poussières interplanétaires qui "neigent" à la surface de notre planète. Enfin, les comètes ont pu amener sur Terre des ingrédients nécessaires à l'apparition de la vie -atmosphère, eau, matière organique complexe. L'analyse isotopique de la matière cométaire doit permettre d'explorer ces liens éventuels.
Les gaz rares, indicateurs d'origine et de processus des systèmes naturels
Les auteurs ont ainsi analysé pour la première fois les gaz rares (hélium et néon) dans de la matière cométaire. Ces éléments inertes chimiquement sont des indicateurs exceptionnels d'origine et de processus pour les systèmes naturels, y compris le système solaire. Jusqu'à présent, leur observation à distance dans les comètes était techniquement très difficile et peu fiable. Les grains prélevés à une vitesse de 6 km/s par la sonde ont explosé lors de leur entrée dans l'aérogel, créant une cavité tapissée de matière cométaire fine et une trace d'entrée plus longue du grain terminal
(2). Ce choc rendait problématique l'analyse d'éléments volatils dans les grains terminaux car ceux-ci ont dû être intensivement dégazés lors de leur explosion. Cependant, la cavité d'explosion pouvait avoir conservé la trace des éléments volatils originaux et c'est cette hypothèse que les auteurs ont cherché à vérifier.
Cavité laissée par l'impact d'un grain dans l'aérogel
Dans une première série d'analyse effectuée au CRPG à Nancy, des parcelles d'aérogel provenant du mur des cavités d'explosion d'un grain ont été fondues sous ultravide en utilisant un laser infrarouge. Puis, les gaz libérés ont été analysés par spectrométrie de masse statique. Ces données ont été comparées à celles obtenues pour de l'aérogel vierge de toute altération. Elles montrent des excès en hélium et néon dont les compositions isotopiques attestent de leur origine extraterrestre. Une deuxième série d'analyse sur d'autres fractions d'aérogel provenant de la même cavité ont été analysées à l'Université du Minnesota en utilisant un micro four, avec des résultats très similaires quant aux abondances et rapports isotopiques. De plus, ces dernières analyses ont démontré que les gaz étaient originalement contenus dans des phases réfractaires, c'est-à-dire formées à haute température, et non dans des glaces cométaires comme on le pensait initialement.
La composition isotopique du néon extrait de ces phases est très différente de celle du gaz de la nébuleuse à partir de laquelle s'est formé le Soleil. Elle est par contre similaire à celle des gaz rares piégés dans la matière organique des météorites, suggérant un processus d'incorporation également similaire. Dans le cas des météorites, cette composition a été expliquée par une altération de la composition isotopique lors de l'implantation de gaz rares de la nébuleuse dans des grains solides sous forte irradiation des rayonnements ultraviolet. De plus, les abondances d'hélium et de néon dans le grain originel sont très élevées, suggérant de façon indépendante une acquisition par irradiation intense de grains, seul processus permettant d'atteindre les concentrations observées. Ces grains irradiés dans le système solaire interne ont ensuite été mélangés à des glaces dans des régions lointaines, lors d'un brassage à grande échelle de la matière du système solaire entre l'étoile centrale et les régions externes.
Des gaz rares en grande quantité
L'analyse minéralogique par d'autres équipes des grains ramenés par Stardust indique qu'ils contiennent de l'olivine, du métal, du pyroxène, phases qui ne peuvent se former qu'à haute température près du Soleil naissant, avant d'être mélangées à de la glace dans le système solaire lointain. Ensemble, ces études indiquent des processus de mélange de la matière à très grande échelle et une irradiation intense par le Soleil jeune, à une époque où notre étoile était beaucoup plus dynamique qu'actuellement et utilisait une partie de son énergie juvénile pour façonner la matière pré-planétaire.
Les très grandes quantités de gaz rares piégés dans la matière de Wild2/p ne trouvent d'équivalent que dans certaines poussières interplanétaires, suggérant qu'une fraction non négligeable de ces poussières, qui sont régulièrement échantillonnées dans la haute atmosphère par la NASA, sont effectivement composées de débris fins de comètes. De telles quantités confortent également la possibilité que les comètes aient pu apporter des contributions significatives d'éléments volatils à la surface des planètes internes telle que la Terre ou Mars, peut-être lors du dernier bombardement intense voici 3,8 milliards d'années qui a affecté la surface de la Lune et celle de la Terre.
Notes:
(1) Les laboratoires français participant à Stardust sont l'unité Nano-analyses (CNRS / Muséum national d'histoire naturelle), l'Institut d'astrophysique spatiale (CNRS / Université Paris-Sud 11), le laboratoire des sciences de la Terre (CNRS / ENS Lyon / Université de Lyon 1), le CRPG à Nancy, le Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse (CSNSM, CNRS / Université Paris-Sud 11) et le laboratoire de structures et propriétés de l'état Solide (CNRS / Université Lille 1 / Ecole nationale supérieure de chimie Lille).
(2) Le fragment qui pénètre le plus l'aérogel.
Merci à Stardust (forum !) pour la suggestion de ce sujet de news.