Michel - Samedi 5 Décembre 2009

Un spectromètre ultrasensible bat tous les records

Un spectromètre aux performances inégalées capable d'identifier des traces infimes de gaz en temps réel a été développé par des chercheurs du Laboratoire de Photophysique moléculaire du CNRS (LPPM) et du Max Planck Institute of Quantum Optics (Allemagne) dans le cadre du European Laboratory for Frequency Comb Spectroscopy (1). Dirigée par Theodor W. Hänsch, prix Nobel de physique (2005) et Nathalie Picqué du LPPM, l'équipe internationale a conçu un instrument basé sur deux lasers peignes de fréquences femtosecondes (2). Par la percée de ses performances, ce spectromètre pourrait être la nouvelle référence en spectroscopie ultrasensible. Cette avancée importante tant pour la recherche fondamentale que pour de nombreux domaines appliqués est détaillée dans l'édition avancée en ligne de la revue Nature Photonics.


Partie d'un résonateur de haute finesse, similaire à celui utilisé pour augmenter la sensibilité
de la spectroscopie de Fourier par peignes de fréquences femtosecondes. La lumière verte
couplée au résonateur provient d'un peigne de fréquences à Ytterbium doublé en fréquence.


La spectroscopie de traces de gaz suscite un grand intérêt ces dernières années. Avec une très grande sensibilité, cette spectroscopie d'absorption permet d'identifier des composés en très faible abondance. Elle est utilisée dans la recherche fondamentale mais également dans des domaines tels que la métrologie, la physico-chimie du milieu interstellaire, la détection in situ de traces de pollution atmosphérique (accidentelle ou criminelle), le contrôle de procédés industriels... Mais jusqu'ici, pour développer un spectromètre performant, de nombreuses caractéristiques devaient être réunies:
- Explorer en une seule mesure une grande plage de longueurs d'onde, ce qui permet d'accéder simultanément à la connaissance de nombreux niveaux d'énergie en spectroscopie fondamentale ou de mesurer la présence de plusieurs molécules simultanément pour les domaines appliqués ;
- Avoir une bonne limite de résolution, c'est-à-dire la possibilité de discriminer finement les différentes longueurs d'onde qui composent le spectre. Ceci est nécessaire en spectroscopie fondamentale pour comprendre le spectre dense de molécules complexes et dans les domaines appliqués pour différentier sans ambiguïté les différentes molécules présentes dans le milieu sondé ;
- Avoir un temps de mesure rapide pour pouvoir observer en temps réel des phénomènes transitoires (réactions chimiques, explosifs...) ;
- Avoir une grande sensibilité pour observer des transitions moléculaires faibles en spectroscopie fondamentale ou des composés en faible abondance dans le milieu sondé dans les domaines appliqués.

Jusqu'alors, aucun instrument ne présentait simultanément ces quatre critères


Pour la première fois, le spectromètre développé par l'équipe franco-allemande trouve un compromis parmi ces contraintes en se basant sur une cavité de haute finesse et deux peignes de fréquences (2). Ce procédé permet d'enregistrer des spectres avec une grande sensibilité et 1 million de fois plus rapidement que les meilleurs spectromètres actuels (3). Durant une démonstration, le spectre de l'ammoniac, molécule d'intérêts planétologique et environnemental, a été mesuré en 18 µs: la sensibilité obtenue est déjà 20 fois meilleure, pour un temps de mesure 100 fois plus faible que la démonstration de faisabilité qui détenait le précédent record. Avec une telle sensibilité, et avec une extension possible à toutes les régions du spectre électromagnétique, cette méthode pourrait explorer de façon dynamique l'infrarouge moyen, région des "empreintes digitales" de molécules, où aucune technique efficace de spectroscopie en temps réel n'existe.

D'autres nombreuses applications sont ainsi envisageables dans de très divers domaines: la chimie analytique, la physique des plasmas, l'astrophysique de laboratoire mais aussi la biomédecine, le sondage environnementale, la sûreté...


Notes:

(1) En collaboration avec l'Université de Tokyo (Japon) et l'Université Ludwig Maximilian de Munich (Allemagne).

(2) Les lasers peignes de fréquences femtosecondes ont été développés sous l'impulsion du prix Nobel T.W. Hänsch. Ils ont eu un impact considérable dans les divers secteurs de la mesure de précision. Ce type de laser délivre simultanément plusieurs centaines de milliers de longueurs d'ondes placées de façon équidistante et très exacte. En général, un laser délivre une seule longueur d'onde, spectralement très fine. Un peigne de fréquences peut être vu comme un laser qui délivre l'équivalent de l'émission de 100 000 lasers traditionnels de façon parfaitement contrôlée et connue. Cette technologie peut par exemple mesurer la distance Terre-Lune avec une précision égale à 1/100 000ème de l'épaisseur d'un cheveu.

(3)Jusqu'à présent, le spectromètre de Fourier basé sur l'interféromètre de Michelson était depuis des décennies l'instrument le plus performant des sciences analytiques.
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