En dégustant une groseille pas très mûre, une tasse de thé ou un verre de vin, la sensation est la même, comme si, soudain, l'intérieur de la bouche s'asséchait: c'est l'astringence. Pour la première fois, les mécanismes d'interactions moléculaires responsables de cette sensation ont été identifiés par des chercheurs de l'Inra, de l'Université Paris-Sud et du CNRS, en collaboration avec des équipes du synchrotron SOLEIL
(1), grâce à une méthode utilisant le rayonnement ultra-violet. Ces travaux viennent d'être publiés sur le site de la revue
Angewandte Chemie.
Etude des sites d'interaction des complexes non?covalents par une nouvelle méthode couplant
la spectrométrie de masse au rayonnement synchrotron VUV (ultra?violet lointain).
© Inra?Francis Canon
L'astringence fait partie intégrante du plaisir que peuvent procurer certains mets ou boissons et participe à la qualité de ces aliments. À l'origine de cette sensation: l'interaction entre les tanins (des molécules produites par les plantes) et des protéines présentes dans la salive dites PRP pour protéines riches en proline
(2). Cette interaction vise à piéger les tanins (avant leur passage dans le système digestif) et diminue la lubrification des muqueuses de l'intérieur de la bouche. Ce phénomène intervient dans la sensation de sécheresse buccale typique de l'astringence.
Si des chercheurs de l'Inra, au sein de l'Unité sciences pour l'œnologie, ont montré comment les protéines PRP se repliaient autour des tanins pour les piéger
(3), le site d'interaction exact entre les deux composés chimiques n'avait pas encore été clairement identifié. En effet, ces protéines sont dites "intrinsèquement désordonnées", c'est?à?dire qu'elles ne possèdent pas de structure tridimensionnelle bien définie, ce qui rend difficile –voire impossible? l'utilisation des méthodes d'analyse classiquement utilisées pour déterminer cette structure (biocristallographie, RMN).
Une première: l'étude sousUV au synchrotron
Grâce à la mise au point à SOLEIL d'une nouvelle méthode, impliquant le rayonnement synchrotron dans l'ultra?violet lointain, couplé à la spectrométrie de masse, les chercheurs de l'Inra, de l'Université Paris?Sud, du CNRS et du Synchrotron, ont pour la première fois localisé le site d'interaction d'un tanin sur une PRP (la protéine IB5).
Grâce à un choix judicieux de l'énergie du rayonnement synchrotron ciblant l'assemblage PRP/tanin, ce dernier a été fragmenté mais les liaisons pourtant fragiles entre les deux composés sont conservées, intactes. Les fragments de PRP toujours fixés au tanin ont ensuite été analysés au moyen de la spectrométrie de masse, permettant d'identifier les parties de la protéine où se lie le tanin. Si cette technique donne pour la première fois accès aux mécanismes d'interaction entre PRP et tanins, il s'agit plus globalement d'une méthode universelle, particulièrement adaptée à l'étude des protéines intrinsèquement désordonnées, réfractaires aux autres types d'analyses. Parmi les candidats potentiels se trouvent notamment des protéines de régulation du fonctionnement cellulaire ou des protéines impliquées dans différentes pathologies.
Notes:
(1) Sont impliqués dans cette étude: le Centre des Sciences du Goût et de l'Alimentation (Inra/CNRS/Université de Bourgogne), le laboratoire de chimie physique (Université Paris-Sud/CNRS), le Synchrotron SOLEIL, l'Unité sciences pour l'œnologie (Inra/Montpellier SupAgro/Université Montpellier 1), l'Université de Belgrade.
(2) La proline est un acide aminé non essentiel.
(3) Référence: F. Canon, R. Ballivian, F. Chirot, R. Antoine, P. Sarni?Manchado, J. Lemoine, P. Dugourd, J. Am. Chem. Soc.
2011, 133, 7847?7852.
Référence:
Francis Canon, Aleksandar R. Milosavljevi?, Guillaume van der Rest, Matthieu Réfrégiers, Laurent Nahon, Pascale Sarni?Manchado, Véronique Cheynier and Alexandre Giuliani. Photodissociation and Dissociative Photoionization Mass Spectrometry of Proteins and Noncovalent Protein?Ligand Complexes. Angewandte Chemie, en ligne le 19 juillet 2013,DOI: 10.1002/anie.201304046