Isabelle - Lundi 20 Avril 2015

Un scalpel "intelligent" contre le cancer

Le cancer est l'une des maladies les plus problématiques pour la médecine. Rien qu'au Royaume-Uni, on compte chaque année 300000 nouveaux cas, conduisant à près de 2 millions d'opérations chirurgicales par an. Grâce à un financement du CER, le Dr Zoltán Takáts de l'Imperial College London a mis au point un scalpel 'intelligent' capable de 'sentir' les tissus qu'il découpe, révolutionnant ainsi le traitement du cancer, l'analyse des aliments et des médicaments, ou encore la recherche dans le 'microbiome' humain.

Dénommé "iKnife" par les chercheurs, l'instrument utilise un spectromètre de masse pour analyser la "fumée" produite par un scalpel qui fonctionne à l'aide d'un courant électrique à haute fréquence. Le chirurgien reçoit alors en temps réel des informations sur la nature cancéreuse ou non des tissus qu'il incise.


Le projet du Dr Takáts, "DESI – JEDI", a déjà signalé dans la revue Science of Translational Médecine la réussite d'un test, soulevant un grand intérêt dans la presse. Durant cette étude, le projet a bâti une base de données des signatures de différents cancers (cerveau, seins, poumons et côlon) à partir de prélèvements effectués sur plus de 300 patients. Le scalpel iKnife a ensuite été utilisé lors de 80 opérations, obtenant à chaque fois des résultats en temps réel correspondant à l'analyse classique des tissus réalisée après l'intervention.

"Lorsque nous avons fait la première proposition en 2007, nous n'espérions pas que le projet irait aussi loin", déclare le Dr Takáts. "Mais dans les six semaines après la publication de notre article, nous avons effectué nos expériences cliniques et démontré que la technologie était prête à l'emploi. Nous sommes donc maintenant tout près de commencer les essais cliniques officiels, dans l'optique des approbations réglementaires."


Une révolution de toute beauté



Les spectromètres de masse mesurent le rapport masse/charge des particules ionisées (dotées d'une charge électrique) en les faisant traverser des champs électriques ou magnétiques. Ils servent à analyser la composition chimique et la structure d'échantillons.

L'idée révolutionnaire du Dr Takáts vient de ce qu'il a réalisé que les nouvelles techniques chirurgicales (par ultrasons, lasers ou électricité) produisaient des particules chargées à partir des tissus tranchés, représentant une entrée idéale pour un spectromètre de masse. Son premier test expérimental, très simple, avec du foie de porc et des instruments chirurgicaux du commerce, avait remarquablement bien fonctionné et obtenu des résultats meilleurs qu'espérés.

"Avec un outil aussi fantastique, nous avons immédiatement pensé aux utilisations. Nous avons cherché dans quels cas un spectromètre de masse pouvait changer les choses."


Jusqu'ici, le chirurgien devait faire une biopsie (prélever un morceau des tissus) puis la faire analyser par un laboratoire d'histopathologie (ce qui demande au moins 40 minutes) avant de savoir s'il lui fallait continuer l'opération. Au contraire, le iKnife se contente de pomper un peu d'air pour aspirer des particules depuis l'organe opéré et les envoyer au spectromètre de masse, et le système informe immédiatement le chirurgien s'il doit ou non continuer à enlever des tissus pour éliminer toutes les cellules tumorales ou enflammées. Le fait de laisser le maximum de tissus intacts améliore les résultats de l'opération et la qualité de vie des patients.


De la science à la chirurgie



"Nous passons maintenant aux essais cliniques officiels", ajoute le Dr Takáts. "Nous espérons voir commencer en début d'année les tests de chirurgie cérébrale."

La concrétisation du projet n'était pas une mince affaire, car il fallait finaliser les trois éléments de l'instrument avant de commencer les essais cliniques: l'électro-scalpel, la base de données d'identification et de diagnostic, et le spectromètre de masse personnalisé pour le site opératoire. En effet, la conception de l'appareil ne peut pas être modifiée après son approbation.

"La subvention de preuve de concept apportée par le CER a été d'une importance critique", souligne le Dr Takáts. "La subvention de démarrage nous a permis de mettre en place le groupe de recherche et d'effectuer les travaux scientifiques, mais nous avions réellement besoin du financement de preuve de concept afin d'aborder les questions réglementaires, gérer la propriété intellectuelle et lancer une entreprise pour commercialiser l'instrument."

Le iKnife a été conçu pour l'électro-chirurgie car c'est la méthode préférée des spécialistes du cancer, mais il peut être adapté à la chirurgie par laser ou par jet d'eau. Il pourrait aussi servir à analyser des muqueuses ou les systèmes respiratoire, urogénital et gastro-intestinal.

Son intérêt en matière d'analyse de substances et de tissus a conduit l'équipe à engager des discussions avec le secteur alimentaire et les organismes de lutte contre le crime. Il pourrait aussi être très intéressant pour les microbiologistes, en accélérant la création de bases de données des peuplements microbiens hébergés par notre corps.

"Les millions de bactéries qui vivent dans et sur nous pourraient être associées à des cancers ou à des maladies comme le diabète", suggère le Dr Takáts. "Le fait de les identifier pourrait faciliter le diagnostic et le traitement. Nous disposons maintenant d'un outil unique pour étudier dans le détail ces interactions et conduire à de nouvelles approches et thérapies."
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