Michel - Dimanche 14 Janvier 2007

Rétro 1923: La plus grande chaudière du monde

La news rétro de ce dimanche nous décrit en détail le concept élaboré dans les années 1920 d'une centrale d'énergie maritime.

Avertissement: Cette news rétro retranscrit des connaissances scientifiques, techniques ou autres de 1923, et contient donc volontairement les arguments, incertitudes ou erreurs d'époque.


Le moyen est-il trouvé d'utiliser enfin l'énorme réserve de force motrice qui émane du Soleil ? Le curieux projet que nous décrivons et qui est dû à deux chercheurs italiens, a le double mérite de la précision scientifique et du pittoresque.

Depuis quelque temps, les journaux italiens parlent d'une invention sensationnelle qui serait due à un certain M. Boggia et qui serait destinée à fournir d'immenses quantités d'énergie à un prix infime. Le professeur Dornig, qui a collaboré effectivement aux travaux de M. Boggia, vient de faire une conférence à Milan, devant la Société des ingénieurs, ce qui donne une certaine valeur aux idées que nous allons exposer.

Il s'agit, en substance, d'une nouvelle forme d'utilisation directe de l'énergie solaire que la Terre reçoit par rayonnement et qui est pratiquement énorme. Le professeur Dornig estime que la Terre reçoit ainsi, en moyenne, par an, au moins 100 000 fois plus d'énergie que celle que l'on peut retirer du charbon extrait des entrailles de la terre pendant le même laps de temps.

Les diverses tentatives faites jusqu'ici, sans oublier celle d'Archimède, d'utiliser directement l'énergie solaire au moyen de miroirs convergents ou autres, offrent le grave inconvénient d'être trop coûteuses. Étant donnée l'énorme disponibilité d'énergie, il vaut mieux sacrifier le rendement de l'utilisation à une réduction du prix de revient de l'installation. C'est pourquoi l'inventeur propose de recueillir l'énergie solaire à basse température, plutôt que d'essayer d'en élever la température au moyen des artifices ci-dessus.

Il propose, pour cela, de construire une chaudière gigantesque, qu'on pourra appeler, sans crainte d'être contredit, la plus grande chaudière du monde. Pour mieux nous faire comprendre, nous croyons utile de rappeler en quelques mots le principe de la chaudière et de la machine à vapeur.


Dispositif général de la chaudière et de la turbine
pour l'utilisation de la chaleur solaire
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La chaudière est un vaste récipient métallique, clos, renfermant de l'eau que l'on soumet à l'action de la chaleur dégagée dans un foyer. L'eau se transforme ainsi en vapeur que nous allons utiliser de l'une des deux façons suivantes. On peut envoyer cette vapeur dans une machine alternative composée d'un cylindre dans lequel se déplace, sous l'action de la pression de vapeur, un piston animé d'un mouvement alternatif de va-et-vient ; on peut aussi envoyer la vapeur dans une turbine composée d'un tambour muni d'aubes ou ailettes ; la vapeur agit par sa vitesse sur ces ailettes et fait tourner le tambour. La machine alternative ou la turbine entraînent, à leur tour, une machine génératrice d'électricité, par exemple.

Mais que devient la vapeur à sa sortie de l'une ou l'autre de ces machines? On peut l'évacuer directement à l'air libre, mais le plus souvent on préfère l'envoyer dans un condenseur qui est un récipient généralement cylindrique, en tôle, comportant un certain nombre de tubes dans lesquels passe un courant d'eau froide produit par une pompe. Au contact de ces tubes refroidis, la vapeur se liquéfie et tombe à la partie inférieure du condenseur où on la recueille pour la renvoyer à la chaudière. L'emploi du condenseur offre non seulement l'avantage de ne pas gaspiller l'eau douce nécessaire pour les chaudières - chose précieuse sur les navires, en particulier, - mais aussi de permettre un bien meilleur rendement du système.

C'est un ensemble de machines de ce genre que se propose de réaliser l'inventeur, uniquement pour l'emploi de la chaleur solaire. Les meilleures conditions d'utilisation, d'après lui, se trouvent dans les mers tropicales, où la température des couches supérieures de l'eau se maintient constante toute l'année, jour et nuit, aux environs de 25°, tandis qu'à plusieurs centaines de mètres de profondeur, on arrive à des températures de 5 à 6°, et même moins. L'infime conductibilité thermique de l'eau, de haut en bas, explique parfaitement cet état de choses.

Ainsi, l'eau des couches superficielles pourrait être utilisée dans les chaudières à faisceaux tubulaires pour faire évaporer un liquide à faible point d'ébullition (de l'ammoniaque, par exemple). La vapeur pourrait être utilisée dans une turbine et ensuite condensée dans des condenseurs dans lesquels on ferait circuler de l'eau froide prise dans les couches inférieures de la mer.

Le rendement serait assez faible, car il dépend des différences de température du liquide utilisé à l'entrée et à la sortie des appareils, mais cela n'aurait guère d'importance, étant donnée la gratuité de l'énergie utilisée.


Le professeur Dornig a exposé les grandes lignes d'une installation de 100 000 kilowatts utiles, soit 136 000 chevaux. L'eau à 25°, prise à la surface, passerait à travers les tubes d'une immense chaudière, d'une superficie totale d'environ 675 000 mètres carrés. La chaleur ainsi obtenue servirait à faire évaporer le liquide utilisé - de l'ammoniaque, par exemple, avons-nous vu - et la vapeur produite irait actionner un ensemble de turbines d'une construction relativement simple, mais d'un très faible rendement. La vapeur, à la sortie de ces turbines, passerait dans d'énormes condenseurs d'une surface totale égale à celle des chaudières ; les tubes de ces condenseurs seraient parcourus par un courant d'eau froide à 6° prise à la profondeur d'environ 700 mètres, au moyen d'un tube vertical de 15 mètres de diamètre, et amené à la surface, dans le condenseur, par l'intermédiaire de pompes puissantes. L'eau, après avoir passé dans les tubes du condenseur serait renvoyée à la mer, à la température d'environ 9°, et à une profondeur, d'environ 300 mètres. Au contact de ces tubes, la vapeur se liquéfierait, puis serait envoyée de nouveau dans la chaudière, et le cycle d'opérations se reproduirait à l'identique.

Toutes ces machines seraient contenues dans un gigantesque chaland en ciment armé. Les turbines entraîneraient des machines génératrices d'électricité qui enverraient sur le rivage, au moyen de câbles, l'énergie électrique produite. A terre, des usines diverses utiliseraient cette énergie.

Il est intéressant de savoir ce que représente ce projet au point de vue économique. Les dépenses de l'installation seraient d'environ 113 millions pour les chaudières tubulaires et les condenseurs, de 18 millions pour le tuyautage d'eau froide, de 6 millions pour les autres tuyautages. Les transformateurs éventuels et les câbles pour la transmission de l'énergie à la côte coûteraient 22 millions. Le chaland en ciment armé reviendrait à environ 10 millions. On peut donc estimer que la dépense totale serait de 220 millions de francs.

La dépense annuelle (intérêts, amortissement, main-d'œuvre, etc.) serait d'environ 22 millions. En estimant à seulement 7 800 heures la durée de fonctionnement de l'installation par an, on arrive à 780 millions de kilowatts-heure par an, de sorte que le prix de revient du kilowatt-heure serait de 0,0282, soit moins de trois centimes.

On estime qu'on pourrait installer une pareille usine flottante tous les 22 kilomètres carrés de surface océanique.

L'avenir nous renseignera quant à l'intérêt pratique, assez problématique d'ailleurs, de l'invention en question, qui, tout au moins au point de vue théorique, ne manquera pas d'attirer l'attention des nombreux chercheurs qui se préoccupent de la question de la force motrice à bon marché.


Rappel: Cette news rétro retranscrit des connaissances scientifiques, techniques ou autres de 1923, et contient donc volontairement les arguments, incertitudes ou erreurs d'époque.

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