La news rétro de ce dimanche nous relate l'historique et nous décrit en détail les principes de fonctionnement d'un avion sans pilote vus dans les années 1920.
Avertissement: Cette news rétro retranscrit des connaissances scientifiques, techniques ou autres de 1923, et contient donc volontairement les arguments, incertitudes ou erreurs d'époque.
En découvrant, voila quelque quinze ans, les premières expériences de télémécanique du professeur Branly, nous osions a peine envisager leur extension et leur portée. Qui eut dit alors que, grâce aux ondes hertziennes, il serait un jour possible d'assister au vol d'un avion sans pilote? Telle est pourtant la merveilleuse réalité.
Commander un mécanisme à distance, quel attachant problème, depuis que l'étude des ondes hertziennes a fait entrevoir la chose comme possible ! Problème très général, d'ailleurs, et qui doit comporter de nombreuses solutions, suivant l'appareil à mettre en action, la distance à franchir, le moyen choisi pour relier le transmetteur et le récepteur, etc. Mais comment nos ingénieurs ne se seraient-ils point passionnés tout particulièrement pour cet aspect du problème: la commande à distance d'un avion, en d'autres termes: la direction d'un avion sans pilote? De fait, les recherches à cet égard ont été nombreuses depuis quelques années. Mais, disons-le tout de suite, il semble bien que les plus complètes comme les plus fécondes soient celles qu'a poursuivies l'ingénieur français Maurice Percheron. Sans manquer à la discrétion qui est due à toute invention intéressant la Défense nationale, il nous est permis de dévoiler les grandes lignes de celle-ci.
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Déjà, au cours de la guerre, la question avait préoccupé le haut commandement ; et en 1918, un groupe, chargé de l'étudier, avait été formé à Etampes, sous la direction du capitaine Max Boucher. Or, dès le 14 septembre de la même année, un avion, muni d'un dispositif spécial, manœuvrait durant cinquante et une minutes et parcourait un circuit de 100 kilomètres,
sans l'intervention d'aucun pilote !... Ce beau résultat n'eut pas de lendemain, car l'armistice survint ; et, le groupe ayant été dissous, trois années allaient s'écouler sans qu'aucune de ses expériences fût renouvelée...
Mais en 1921, M. Laurent Eynac, sous-secrétaire d'État, désireux de garder à la France la première place que lui avaient conquise les expérimentateurs de 1918, pria le capitaine Boucher et l'ingénieur Percheron de reprendre les études interrompues. Grâce à l'ingénieur général Portant, directeur du service technique de l'Aéronautique, l'État facilita aux deux promoteurs la réalisation de leurs travaux, qui furent officiellement suivis et contrôlés par le capitaine Volmerange, chef de la navigation aérienne. Alors que, en pleine guerre, il avait fallu aller vite et laisser bien des points dans l'ombre, nos savants cette fois purent poursuivre des recherches systématiques et élucider tour à tour les innombrables problèmes qui se posaient devant eus. Aussi peut-on dire désormais que leurs patientes recherches ont été couronnées de succès.
La question qui leur demanda le plus d'efforts, mais qu'ils viennent enfin de résoudre à Villesauvage, près d'Étampes, fut celle qui consistait à rendre l'avion entièrement automatique, et à remplacer l'action de la main du pilote, avec toutes les finesses de son doigté, par des dispositifs mécaniques, actionnés soit par les réactions mêmes de l'appareil aux coups de vent, soit par des boutons de commande: "Montée", " Virage à droite ", "Virage à gauche", etc. Pour qui connaît le pilotage et ses modalités toujours changeantes, un tel appareillage est d'une réalisation particulièrement ardue ; s'il est, en effet, des manœuvres que l'on ne peut faire exécuter à distance, ce sont bien celles qui normalement sont commandées par les "réflexes" du pilote.
Le premier but à atteindre, dans la télémécanique aérienne, fut donc la "stabilisation automatique".
A la recherche de l'équilibre
Problème fort complexe ! Un avion, en effet, tend à prendre, d'une part, trois mouvements de rotation autour de trois axes, et d'autre part, trois mouvements de translation suivant ces trois axes. Par conséquent, si l'on veut que l'avion se déplace le long d'une trajectoire donnée et avec une orientation déterminée, il faut, au préalable, "enclencher", c'est-à-dire neutraliser cinq de ses six degrés de liberté. Aussi la théorie rigoureuse amènerait-elle à installer sur l'appareil cinq stabilisateurs différents...
Le système de stabilisation que M. Percheron installé sur l'avion d'expérience tourne la difficulté d'une manière rationnelle. Il répond avec un nombre réduit d'organes aux conditions suivantes: déclencher des forces de correction capables de ramener l'avion, lorsqu'il s'est écarté de sa position d'équilibre ; faire cesser ces actions avant que l'avion soit ramené à cette position, afin que ne s'amorce pas ce mouvement oscillatoire que les techniciens désignent sous le nom de "sonnette".
Essayons de décrire ce stabilisateur. Six organes principaux le constituent:
1° Un
repère, solidaire de l'avion, qui est constitué par une petite colonnette portant une lame de contact électrique, et qui peut être comparé à l'aiguille qui, dans une balance, fait corps avec le fléau ;
2° Un autre repère, constitué par un gyroscope qui, en tournant, détermine un plan invariablement horizontal, quels que soient les mouvements de l'avion. (On sait qu'un gyroscope est une masse de faible poids qui, en tournant à une grande vitesse, 18 000 tours à la minute, acquiert une inertie considérable et, entre autres propriétés, tend à rester toujours dans son plan de rotation.) Dès maintenant, il est facile de comprendre que, lorsque l'avion s'écartera de son équilibre horizontal et de sa direction normale, nos deux repères vont se déplacer, l'un par rapport à l'autre, exactement comme l'aiguille d'une balance par rapport à son cadran ;
3° Un jeu de gyroscopes, dit
compensateur d'inertie, qui assure au second repère "une position horizontale invariable ; c'est là, en effet, l'explication même d'un principe, bien connu en mécanique, que tout gyroscope doit être équilibré.
4° Un
jeu de câbles d'asservissement, qui relient les deux repères, de telle façon que l'action de rappel du stabilisateur cesse avant le retour de l'avion à sa position d'équilibre et que celui-ci ne subisse point la "sonnette" ;
5° Un jeu de moteurs électriques, dénommés servomoteurs, qui agissent sur les organes de manœuvre de l'avion: équilibreur, ailerons de gauchissement, gouvernail de direction ;
6° Enfin un
dispositif d'immobilisation des commandes, destiné, quand l'avion est à sa position d'équilibre, à éviter la réaction de l'air sur les organes de manœuvre.
Par cette simple énumération, on peut voir combien la stabilisation, cette condition initiale du vol sans pilote, est délicate à réaliser, en théorie comme en pratique.
Dans ses récentes expériences, c'est à un type de gyroscope déjà connu en navigation marine, le gyroscope Sperry, que M. Percheron s'est adressé; toutefois, il a dû y apporter plusieurs modifications importantes.
Sans entrer ici dans des détails trop techniques, et nous souvenant simplement, selon le principe rappelé ci-dessus, que tout gyroscope a besoin d'être équilibré par un autre gyroscope (qui sert de compensateur d'inertie), nous noterons que ce sont des jeux de deux gyroscopes qui ont été employés pour les essais: un jeu pour la profondeur, un autre pour l'équilibre latéral, enfin un troisième jeu pour la direction.
Or, chacun de ces systèmes de gyroscopes est solidaire d'un petit "secteur", c'est-à-dire d'un petit arc de cercle métallique, qui jonc en quelque sorte le rôle d'un cadran.
Sur le secteur peut se déplacer une aiguille munie d'un contact, appelée "balai", et qui est solidaire de l'avion: chaque fois que ce dernier s'écarte de sa position d'équilibre, non seulement le balai se déplace à droite ou à gauche sur son secteur, mais en outre il ouvre ou ferme, par ces déplacements, des circuits électriques.
C'est à ce moment, on le devine, que les "servomoteurs" entrent en fonction. On peut dire que leur type se ramène à un moteur s'embrayant. à volonté sur un tambour.
Sur les tambours des trois servomoteurs sont enroulés respectivement les câbles de commande: "profondeur", "gauchissement", "direction". Quand l'un des tambours a tourné d'un certain angle, un rupteur coupe le contact, ce qui arrête le mouvement ; mais l'organe de commande (équilibreur, ailerons, gouvernail) reste en place: les câbles d'asservissement entrent alors en jeu pour ramener cet organe à zéro, avant que le balai frotteur soit revenu sur la zone isolée qui se trouve au sommet du secteur de chaque gyroscope: ce qui a pour effet, on l'a déjà compris, d'empêcher les oscillations.
Ainsi, en plein vol, l'appareil est susceptible d'être automatiquement redressé à tout instant, quels que soient les coups de vent qui puissent tenter de le dévier de son horizontalité et de sa direction parfaites.
Avant d'arriver à un tel résultat, devine-t-on tout ce qu'il a fallu de patience et de temps à M. Percheron et à son collaborateur M. Bernady, pour réaliser peu à peu la mise au point de leur mécanisme: assurer des contacts francs, rechercher minutieusement la tension des ressorts de rappel, étouffer les étincelles de rupture, etc., toutes "vétilles" qui retardaient à chaque pas le fonctionnement régulier de l'appareil?
Et cette perfection atteinte, une autre tâche reste à accomplir: il s'agit de faire évoluer l'avion automatique.
La semaine prochaine: L'avion sans pilote (2/2) - Principes de vol