Quand les tumeurs redessinent les interactions entre espèces

Publié par Adrien le 19/09/2021 à 09:00
Source: CNRS INEE
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Bien que les processus oncogéniques à l'origine des cancers soient omniprésents chez les organismes multicellulaires, ils ont jusqu'à très récemment été peu étudiés par la communauté scientifique en écologie évolutive. Du fait de la relative lenteur des progressions tumorales, il est pourtant attendu que les maladies cancéreuses, avant d'être éventuellement mortelles pour leurs hôtes, modifient le phénotype de ces derniers et les amènent à interagir différemment avec les autres espèces de l'écosystème.

En prenant comme modèle le cnidaire d'eau douce, Hydra oligactis (embranchement regroupant les méduses et les coraux), des chercheurs ont exploré expérimentalement les conséquences écologiques des modifications phénotypiques associées aux tumeurs. Cette étude publiée dans le journal Science of the Total Environment apporte pour la première fois la démonstration que les développements tumoraux ont le potentiel, par leurs effets sur le phénotype de leurs hôtes, de modifier les interactions biotiques au sein des écosystèmes. Ce travail suggère que les processus cancéreux au sein de la faune sauvage, notamment dans les habitats pollués, peuvent être d'intérêt pour les écologues.


L'émergence et la prolifération de cellules tumorales sont des processus normaux et fréquents chez les organismes multicellulaires depuis leur apparition à la fin du Précambrien. Ils peuvent entraîner des pathologies graves, comme des cancers invasifs. Si ces phénomènes ont jusqu'à récemment été quasi-exclusivement étudiés par les oncologues chez l'homme et les animaux domestiques, ils suscitent un engouement croissant au sein de la communauté des écologistes et des biologistes de l'évolution. En effet, il est à présent admis que les dynamiques tumorales, comme celles de toutes entités vivantes, sont gouvernées par des processus Darwiniens.

Par ailleurs, même s'ils n'évoluent pas toujours vers des formes invasives/métastatiques, les processus tumoraux sont omniprésents chez les métazoaires et des travaux théoriques suggèrent qu'ils influencent probablement chez ces derniers des variables fondamentales en écologie, comme les traits d'histoire de vie, les aptitudes compétitrices, la vulnérabilité aux parasites et aux prédateurs, ou encore la capacité à disperser. Ces effets pourraient provenir à la fois des conséquences pathologiques des tumeurs, mais aussi des coûts liés au fonctionnement des mécanismes de défenses chez les hôtes. Comprendre les conséquences écologiques et évolutives des interactions hôtes-tumeurs est ainsi devenu un thème de recherche phare en Ecologie et en Biologie Evolutive, mais les travaux expérimentaux manquent pour le moment.

Pour combler cette lacune, des chercheurs, dont certains issus des laboratoires Maladies Infectieuses et Vecteurs: Ecologie, Génétique, Evolution et Contrôle (MIVEGEC) et Littoral, Environnement et Sociétés (LIENSs) ont exploré l'hypothèse selon laquelle les processus cancéreux peuvent modifier les interactions entre espèces. Ils ont pour cela développé un microcosme artificiel (tripartite), qui permet de tester expérimentalement si les individus porteurs de tumeurs, comparés aux individus sains, entretiennent des interactions différentes avec leurs proies, leurs commensaux et leurs prédateurs.

Le cnidaire Hydra oligactis (ci-après dénommé hydre), espèce commune dans les écosystèmes aquatiques dulçaquicoles, est un prédateur de petits invertébrés, mais est également une proie pour les poissons et peut aussi héberger différents symbiontes. Cette espèce d'hydre peut par ailleurs développer des tumeurs qui modifient radicalement le phénotype des individus (c.à.d., forme du corps du polype, nombre de tentacules, voir figure 1). Compte tenu des différences phénotypiques substantielles entre les hydres saines et tumorales, les chercheurs ont émis l'hypothèse que la présence de tumeurs devrait influencer les relations entre les hydres et les autres espèces. Pour tester cette hypothèse, ils ont comparé expérimentalement les conséquences des tumeurs sur trois types d'interactions biotiques: (i) la capacité des hydres à attraper des proies, (ii) à servir d'hôte à un cilié commensal et (iii) leur vulnérabilité aux prédateurs.


Figure 1: Différences phénotypiques entre une hydre saine (à gauche) et une hydre porteuse de tumeurs (à droite). Justine Boutry

Les scientifiques ont montré que (i) la capacité de prédation des hydres tumorales était augmentée par rapport aux hydres saines. Ce qui s'explique a priori par un nombre supérieur de tentacules comparé aux hydres saines. (ii) Les hydres tumorales sont plus souvent colonisées par les ciliés, lesquels prolifèrent aussi plus rapidement sur les hôtes tumoraux et (iii) des hydres tumorales sont plus souvent consommées par les poissons prédateurs.

Ces résultats ouvrent des pistes de recherche concernant l'implication écologique des processus oncogéniques dans les écosystèmes. Des cascades trophiques altérées pourraient être attendues en présence d'hydres tumorales dans l'écosystème, un processus qui est également susceptible d'accélérer le flux d'énergie et les cycles de nutriments, comme cela est observé dans le cadre des interactions hôtes-parasites. De même, en boostant la dynamique de population de leurs ciliés commensaux, les hydres tumorales augmentent probablement le risque que d'autres espèces d'hydres soient aussi colonisées par ce cilié généraliste.

Laboratoires CNRS impliqués:
- Maladies Infectieuses et Vecteurs: Ecologie, Génétique, Evolution et Contrôle (MIVEGEC - CNRS / IRD / Université de Montpellier)
- Littoral, Environnement et Sociétés (LIENSs - CNRS / La Rochelle Université)

Référence:
Tumors (re)shape biotic interactions within ecosystems: experimental evidence from the freshwater cnidarian Hydra.
Justine BOUTRY, Juliette MISTRAL, Laurent BERLIOZ, Alexander KLIMOVICH, Jácint TÖKÖLYI, Laura FONTENILLE, Beata UJVARI, Antoine DUJON, Mathieu GIRAUDEAU, & Frédéric THOMAS.
Science of the Total Environment, 2021.
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