Tara trace les plastiques des fleuves

Publié par Adrien le 20/05/2019 à 08:00
Source: CNRS Journal
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Le 23 mai, la goélette de la Fondation Tara Océan quittera Lorient pour une expédition de six mois sur les fleuves européens. À son bord, une quarantaine de scientifiques chargés d'évaluer la concentration de déchets plastiques charriés par les fleuves et leur impact sur les organismes marins. Les détails du projet avec Jean-François Ghiglione, écotoxicologue microbien à l'Observatoire océanologique de Banyuls.

C'est votre sixième embarquement à bord de la goélette Tara, mais cette fois, après les mers et les océans, vous entrez dans les terres et remontez les fleuves. Le but étant de dresser un état des lieux européen de la pollution (La pollution est définie comme ce qui rend un milieu malsain. La définition varie selon le...) plastique des fleuves.

Comment est né ce projet ?

Jean-François Ghiglione: Cette campagne fait suite à celle de 2014 en Méditerranée qui a notamment montré que c'est la région du monde la plus impactée par la pollution plastique. En dix ans de travaux, nous avons montré que ces microdéchets se trouvaient dans tous les océans, y compris les zones polaires. Face à une telle dispersion (La dispersion, en mécanique ondulatoire, est le phénomène affectant une onde dans un...), les océanographes comme les marins savent que nettoyer la mer s'avère impossible. Nous devons agir en amont, sur les fleuves, car on sait que 80 % des déchets plastiques qui arrivent en mer viennent de la terre et transitent par les fleuves. On estime que 8 millions de tonnes de plastiques sont ainsi déversées en mer chaque année. La connaissance des sources de pollution est donc prioritaire si l'on veut lutter contre ce fléau et prendre des mesures drastiques à l'échelle européenne.


Après une heure de trait en Méditerranée, le filet Manta est remonté à bord (à gauche), avec dans ses mailles de nombreux déchets, dont un échantillon a été photographié lors de la mission de 2014. S. Bollendorff, N. Pansiot / Fondation Tara Océan

Il n'existait pas d'études sur les déchets plastiques des fleuves européens ?

J.-F. G.: Nous n'avons que des études parcellaires sur le sujet. Des travaux récents montrent que l'on sous-estime la quantité (La quantité est un terme générique de la métrologie (compte, montant) ; un scalaire,...) des déchets plastiques présents, notamment parce qu'on ne prend pas en compte les microplastiques. La dernière recherche (La recherche scientifique désigne en premier lieu l’ensemble des actions entreprises en vue...) réalisée par des collègues anglais sur la Tamise nous a tous surpris: elle révèle que 66 % des déchets présents dans ce fleuve sont des microplastiques. Nous pensions jusqu'alors que les plastiques se fragmentaient en mer, sous l'effet des UV ou des vagues. Par quels mécanismes et où se fragmentent-ils ? C'est entre autres ce que nous allons essayer de comprendre, car ces particules de moins de 5 mm, qui entrent dans toute la chaîne alimentaire (Une chaîne alimentaire est une suite d'êtres vivants dans laquelle chacun mange celui qui le...), constituent la plus grande menace.

Durant cette mission, nous étudierons les sources et les mécanismes de pollution-dispersion des microplastiques de la terre à la mer et leurs impacts sur la biodiversité marine. Les échantillons seront récoltés dans le continuum mer-terre: à plusieurs kilomètres (Le mètre (symbole m, du grec metron, mesure) est l'unité de base de longueur du Système...) de la côte, dans les estuaires et à l'intérieur des fleuves, en amont et en aval des grandes villes comme Londres, Lisbonne ou Hambourg... Une quinzaine de laboratoires français sont impliqués dans ce projet.

Vous débutez par l'estuaire de la Tamise, puis l'Elbe (Allemagne), le Rhin, la Seine, la Loire, la Gironde, le Tage (Portugal), l'Ebre (Espagne), le Rhône et enfin le Tibre (Italie). Comment avez-vous défini votre parcours ?

J.-F. G.: Nous avons choisi 10 fleuves majeurs en Europe ayant déjà fait l'objet de travaux et sur lesquels travaille déjà une équipe de recherche française ou étrangère. Nous allons quantifier les déchets, les caractériser et identifier leurs origines. Si nous trouvons beaucoup de résidus en PVC, on saura qu'ils proviennent des tuyaux de la voirie ; si c'est du polyéthylène téréphtalate (Le polyéthylène téréphtalate (PET), que l'on trouve également avec...), l'origine sera les bouteilles (Sur les anciens navires à voiles, on appelait les bouteilles deux petits compartiments, un de...) en plastique ; et dans le cas du polystyrène (Le polystyrène (PS en abrégé) est le polymère -(CH2-CH(Ph))n-, obtenu par la...) expansé, il provient des emballages. Une fois toutes ces données collectées, nous les modéliserons et, grâce à la courantologie, nous connaîtrons leur future trajectoire (La trajectoire est la ligne décrite par n'importe quel point d'un objet en mouvement, et...), c'est-à-dire combien et quel type de déchets va ensuite se retrouver sur les plages du littoral ou au large des côtes, et ce pour les 10 fleuves étudiés.

On sait qu'à proximité des grandes villes, l'eau des fleuves et donc les microplastiques contiennent de nombreux polluants. Allez-vous mener des recherches sur le sujet ?

J.-F. G.: Oui, c'est le second volet de notre recherche: étudier l'impact des polluants attachés à ces microplastiques sur la biodiversité marine. Les plastiques agissent comme des éponges et absorbent tout: les hydrocarbures comme les pesticides. Nous allons installer, un mois avant le passage deTara, des cages contenant des moules, en amont et en aval des grandes villes le long des estuaires afin de comparer les deux résultats. Ces animaux sont de bons bio-indicateurs, car ils filtrent et captent ces polluants. Nous analyserons aussi la présence de ces substances toxiques dans les organes d'autres espèces à différents endroits du fleuve et au large de l'estuaire.

Il y a aussi les additifs, comme les phtalates ou le bisphénol A, qui entrent dans la composition de ces plastiques...

J.-F. G.: Cela fait partie de nos missions, nous les analyserons. On sait qu'une fois ingérés par les poissons, ces perturbateurs endocriniens ont des effets sur leur développement et leur reproduction.

Des études portant sur l'effet de ces substances sur la perception de l'environnement sont en cours dans notre laboratoire. L'objectif de cette expédition est d'essayer de préciser le rôle de ces microplastiques dans la diffusion (Dans le langage courant, le terme diffusion fait référence à une notion de...) et le transport de tous ces polluants et produits toxiques dans l'eau douce et salée et de rechercher un éventuel effet cocktail sur la faune.


La "plastisphère" définit la grande diversité d'organismes qui vivent sur les plastiques. Fondation Tara Océan

Lors de vos précédentes missions, vous aviez montré que ces microplastiques étaient colonisés par de nombreux micro-organismes. Pensez-vous que ce sont les mêmes espèces que celles que l'on trouve en mer ?

J.-F. G.: Nous allons les identifier et, pour la première fois, réaliser une étude sur les espèces qui transitent des fleuves vers la mer. Ces particules de plastiques constituent en effet un nouvel habitat pour de nombreuses espèces de bactéries, de virus, ou de microalgues. Il y en a tellement qu'en se déplaçant sur ces petits radeaux artificiels, ces micro-organismes peuvent parcourir de longues distances et modifier les écosystèmes. Nous allons focaliser nos recherches sur les organismes pathogènes présents sur ces débris et sur les espèces invasives, c'est-à-dire, celles qui ne devraient pas être là où on les retrouve.

Ces micro-organismes seraient donc capables de passer de l'eau douce à l'eau salée ?

J.-F. G.: C'est toute la question. En théorie, les pathogènes d'eau douce meurent dès qu'ils arrivent dans l'eau salée. Pourtant, on en retrouve sur des plastiques en mer. Il semblerait donc que ces microplastiques agissent comme des refuges particuliers, certaines bactéries doivent pouvoir se cacher à l'intérieur et réussir à survivre. Si tel est le cas, il existe un risque de contagion pour les élevages de moules ou d'huîtres. Les mytiliculteurs et les ostréiculteurs attendent nos résultats avec impatience.

Vous avez pu identifier, lors de vos missions sur Tara, une quinzaine de bactéries marines capables de dégrader les plastiques. Pensez-vous en trouver davantage dans les fleuves ?

J.-F. G.: A priori oui, elles sont certainement plus nombreuses et dotées d'une capacité de dégradation des plastiques beaucoup plus importante et plus rapide que celles que l'on trouve en mer. Nous allons les collecter et les comparer avec les bactéries marines.

Au-delà du volet scientifique, comment comptez-vous agir pour inciter les gouvernements et l'Union européenne à prendre des mesures ?

J.-F. G.: Les missions Tara ont permis de montrer que la majorité de la pollution venait des plastiques à usage unique et concouru à l'interdiction par l'Union européenne des sacs, mais aussi de la vaisselle, des Coton-Tige, des pailles, des microbilles dans les exfoliants, et des contenants alimentaires. Nos résultats seront publiés d'ici deux à trois ans et permettront d'orienter les mesures à prendre pour trouver des solutions de substitution à ces plastiques. En organisant cette mission à l'échelle européenne, nous souhaitons fédérer une communauté motivée et impliquée de chercheurs des différents pays traversés, à l'image de ce que nous avons fait en France avec le groupe de recherche Polymères et Océans qui regroupe aujourd'hui 200 scientifiques et sert de relais d'informations auprès des ministères et des industriels. Nous vivons une période de transition, tous les voyants sont au vert, nous devons en profiter pour mobiliser l'ensemble des acteurs économiques et politiques.
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