La reproduction clonale par graines désormais possible chez les plantes cultivées

Publié par Isabelle le 15/01/2019 à 14:00
Source: INRA
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©Tehno-Science.net
Cultivées dans le monde entier, les variétés hybrides F1, malgré leurs atouts indéniables, demeurent coûteuses à produire. Mais plus pour longtemps. En modifiant l'expression de certains gènes, des chercheurs de l'Inra, en collaboration avec l'Université de Californie Davis et le China National Rice Research Institute, sont parvenus à créer des plantes de riz hybrides dont les graines produisent des plantes strictement identiques à leur plante mère. Leurs travaux, qui viennent d'être publiés dans les revues Nature et Nature Biotechnology, constituent une avancée majeure.

Les méthodes d'amélioration des plantes reposent, d'une part, sur la capacité à produire des combinaisons génétiques performantes à partir de croisements entre lignées et, d'autre part, à stabiliser ces combinaisons pour produire des semences possédant les mêmes caractéristiques.

Les hybrides F1 sont utilisés depuis les années 1930 en agriculture. Issus du croisement entre deux lignées pures de plantes présentant des gènes d'intérêt, ils cumulent les avantages de chacun des parents, ce qui se traduit par une vigueur hybride supérieure à la valeur de chacune des lignées parentales. Ils sont produits par l'élimination des organes mâles suivie de pollinisation manuelles (maïs, tomate) ou par la pollinisation contrôlée de plantes exclusivement femelles (colza, betterave). Cependant, en raison des échanges qui s'effectuent entre les chromosomes des hybrides F1 lors de la méiose, leur descendance ne possède pas leurs caractéristiques. Pour obtenir des plantes identiques, il est donc nécessaire de semer chaque année des graines hybrides F1 obtenues à partir des mêmes lignées parentales.

De la méiose à la mitose

Depuis plusieurs dizaines d'années, les scientifiques cherchent un moyen de stabiliser les combinaisons hybrides performantes. Ils se sont notamment intéressés à l'apomixie, autrement dit la capacité de certains végétaux (notamment certaines espèces de pissenlits et d'aubépines) à produire des graines sans méiose ni fécondation, donc sans reproduction sexuée. Les plantes issues de ces graines étant génétiquement identiques à la plante mère, il s'agit donc de reproduction clonale par graines. Les chercheurs de l'Inra ont récemment démontré qu'en inactivant, chez la plante modèle Arabidopsis puis chez le riz, trois gènes impliqués dans la méiose, on transforme celle-ci en mitose (procédé MiMe), avec pour conséquence des chromosomes identiques à ceux de la plante mère dans les cellules reproductrices ou gamètes. Mais pour parvenir à l'apomixie, une autre condition est nécessaire. Il faut que le gamète femelle produise un embryon sans fécondation. C'est cette étape fondamentale qui vient d'être franchie, de deux manières différentes, grâce à deux collaborations entre l'Inra et l'équipe de Venkatesan Sundaresan de l'Université de Californie Davis d'une part, et celle de Kejian Wang du China National Rice Research Institute d'autre part. Ces deux équipes ont en effet découvert indépendamment deux moyens de lancer l'embryogénèse sans fécondation du gamète femelle par un gamète mâle.

Tout le portrait de sa mère

Pour cela, elles ont inactivé chez le riz, à l'aide de CRISPR-Cas9, les trois gènes impliqués dans le procédé MiMe mis en évidence par l'Inra. L'équipe de Venkatesan Sundaresan aux Etats-Unis a ensuite activé dans les gamètes femelles un gène dénommé BABYBOOM 1 qui, en temps normal, ne s'exprime qu'après la fécondation. En parallèle, l'équipe de Kejian Wang en Chine a inactivé le gène MATRILINEAL (aussi nommé NOT LIKE DAD), impliqué dans la fécondation. De cette façon, les deux équipes sont parvenus à déclencher l'embryogénèse sans fécondation, et à produire des grains de riz génétiquement identiques à la plante mère hybride. Mieux, l'équipe américaine a montré que ces clones produisent à leur tour des clones: après trois générations, ils sont encore identiques aux semences initiales. Il est donc possible de fixer la vigueur hybride dans la descendance d'hybrides F1 de riz!

Des perspectives phénoménales

Pour le moment, les taux de production de clones de graines obtenus par les équipes américaines et chinoises sont insuffisants pour envisager une application immédiate en production de semences, mais les chercheurs étudient déjà comment les améliorer.

Cette découverte pourrait, à terme, révolutionner les stratégies d'amélioration des plantes en permettant de créer des clones d'hybrides F1 pour la plupart des espèces d'intérêt agronomique. La simplicité du processus permettrait en outre de multiplier les combinaisons hybrides testées pour créer de nouvelles variétés, ce qui se pourrait se traduire par un accroissement de la diversité des variétés cultivées. Autre perspective lié à cette découverte: les agriculteurs pourraient ressemer les graines des plantes qu'ils ont cultivées, avec l'assurance d'obtenir la même vigueur hybride de génération en génération. Un avantage pour les agriculteurs, et plus particulièrement ceux des pays émergents, pour qui l'achat annuel de semences représente un coût non négligeable. Pour être profitable à tous, cette révolution méthodologique devra s'accompagner de l'évolution du modèle économique des filières de création variétale et de production de semences.

Reproduction sexuée

Les plantes à graines cultivées se propagent par reproduction sexuée: un gamète mâle contenant la moitié des chromosomes du parent mâle féconde un gamète femelle contenant la moitié des chromosomes du parent femelle. L'embryon de la graine qui résulte de cette fécondation, et la plante qui en descend, contient donc les chromosomes de ses deux parents. Au cours de la méiose, les chromosomes parentaux de cette plante recombinent et les gamètes mâles et femelles possèdent des chromosomes portant un mélange de l'information génétique de leurs parents. Ce processus se reproduit à chaque génération. Si les plantes s'autofécondent (cas du blé par exemple), leurs gamètes mâles et femelles s'homogénéisent au bout d'un certain nombre de générations et on aboutit à des lignées pures stables d'une génération à l'autre. Si les plantes se reproduisent par fécondation croisée (cas du maïs par exemple), leur descendance est différente des plantes mères à chaque génération.

En revanche, certaines plantes à graines se reproduisent par apomixie: leurs embryons se développent sans méiose ni fécondation. Les plantes qui en dérivent contiennent et transmettent donc uniquement l'information génétique de la plante mère. Certaines plantes non cultivées comme des pissenlits et des aubépines utilisent ce processus de reproduction clonale par graine.


Références publication:
A male-expressed rice embryogenic trigger redirected for asexual propagation through seeds. Imtiyaz Khanday, Debra Skinner, Bing Yang, Raphael Mercier & Venkatesan Sundaresan. Nature (2019). Doi: 10.1038/s41586-018-0785-8

Clonal seeds from hybrid rice by simultaneous genome engineering of meiosis and fertilization genes. Chun Wang, Qing Liu, Yi Shen, Yufeng Hua, Junjie Wang, Jianrong Lin, Mingguo Wu, Tingting Sun, Zhukuan Cheng, Raphael Mercier & Kejian Wang. Nature Biotechnology (2019). https://doi.org/10.1038/s41587-018-0003-0


Contact scientifique:
- Raphaël Mercier - Institut Jean-Pierre Bourgin (Inra, AgroParisTech)

Département associé:
- Biologie et amélioration des plantes

Centre associé:
- Versailles-Grignon
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