Calculs de haute précision à partir d'une somme divergente pour des fermions interagissant fortement

Publié par Redbran le 07/12/2018 à 14:00
Source: CNRS-INP
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Des physiciens viennent de développer une nouvelle approche pour resommer les sommes divergentes qui apparaissent lors de calculs concernant les systèmes de fermions fortement corrélés, tout en contrôlant la précision de ces calculs. Ils ont validé cette approche en déterminant le coefficient de "contact" pour un gaz de Fermi unitaire avec une précision bien meilleure que les calculs habituels. Ce résultat se révèle en outre en très bon accord avec les mesures effectuées sur des gaz d'atomes fermioniques ultrafroids en forte interaction.


Exemple de processus pris en compte dans le calcul. Les flèches représentent des fermions, et les rectangles représentent des paires de fermions. Ces paires sont des bosons. Cette représentation s'avère particulièrement pertinente pour le gaz de Fermi unitaire, qui se situe à mi-chemin de la transition entre une physique purement fermionique (pour une faible attraction entre fermions) et purement bosonique (pour une forte attraction, deux fermions formant une paire fortement liée)

Comprendre de manière fine et précise le comportement des particules qui constitue les noyaux atomiques ou les supraconducteurs à haute température est un défi pour les théoriciens. La difficulté majeure tient à la nature de ces systèmes quantiques: ils sont composés de particules élémentaires en interactions et très fortement corrélées les unes aux autres. De surcroît, les paramètres physiques sont très difficiles à mesurer ou contrôler, ce qui complexifie à l'extrême les comparaisons entre théorie et expérience. Pour cette raison, depuis une dizaine d'années, les physiciens utilisent comme banc d'essai des gaz d'atomes refroidis à des températures très proches du zéro absolu, en particulier dans le régime d'interaction maximale appelé “gaz de Fermi unitaire”. Dans ce système, ils mesurent aujourd'hui très précisément diverses grandeurs physiques et, notamment, le “contact”, qui caractérise la probabilité que deux atomes soient très proches. Les calculs existants de cette grandeur s'étalaient jusqu'alors sur une plage de 60 %, chacune des méthodes employées étant affectée par des approximations mal contrôlées.

Des physiciens du Laboratoire de physique statistique de l'ENS (CNRS/Sorbonne Université/ENS Paris/Univ. Paris Diderot), du Laboratoire Kastler Brossel (CNRS/Sorbonne Université/ENS Paris/Collège de France) et leurs collaborateurs internationaux viennent de calculer ce “contact” avec une précision contrôlée de 2 % et un excellent accord avec les données expérimentales. Ce résultat a été rendu possible par une méthode de calcul qu'ils avaient auparavant développée et qui pourrait s'appliquer à bien d'autres systèmes de fermions fortement corrélés. Ces travaux sont publiés dans la revue Physical Review Letters.

Les protons et neutrons des noyaux atomiques, les électrons des supraconducteurs ou les atomes qui composent les gaz froids "unitaires" sont des fermions, c'est à dire des particules qui vérifient le "principe d'exclusion de Pauli". Deux fermions identiques ne peuvent pas occuper un même état quantique. À très basse température et en présence d'interaction, ces particules ont tendance à s'associer par paire.

Pour modéliser un supraconducteur classique ou un gaz d'atomes fermioniques en interaction faible, il suffit de considérer les processus ne faisant intervenir que 2 ou 3 particules: formation de paire, séparation de paire, séparation et appariement de l'un des deux fermions avec un troisième. Lorsque l'interaction devient forte, cela ne suffit pas: la difficulté consiste donc à identifier et à calculer le plus grand nombre possible de contributions en prenant en compte un nombre de plus en plus grand d'atomes. Dans le présent travail, les physiciens ont identifié et calculé les contributions provenant d'environ cent mille processus, mettant en jeu jusqu'à neuf paires. C'est alors qu'une nouvelle difficulté apparaît lorsqu'il s'agit d'additionner toutes ces contributions. Si les interactions entre fermions étaient faibles, il suffirait d'additionner les neuf nombres correspondants aux contributions à 1 paire, 2 paires... 9 paires. Ceci permettrait d'obtenir une valeur approchée du résultat exact et surtout de contrôler la précision du résultat comme, par exemple, on peut le faire pour la somme 1 – 1/2 + 1/4 – 1/8 + ... + 1/256, qui vaut 2/3 à 1/256 près. Mais dans le gaz unitaire, en raison des fortes interactions entre fermions, les termes à sommer sont de plus en plus grands: la somme est divergente.

Les mathématiciens savent depuis longtemps donner un sens à une somme divergente telle que 1-2+4-8+..., et lui attribuer une valeur, en l'occurrence 1/3. Mais pour le gaz unitaire, les méthodes habituelles ne fonctionnement pas: les termes augmentent plus vite qu'exponentiellement et pour une divergence aussi forte, il n'est pas toujours possible de donner un sens et une valeur unique à la somme. Riccardo Rossi et ses collaborateurs ont pu montrer, par des méthodes de théorie des champs, que cela est effectivement possible pour ce gaz, en construisant et analysant une fonction cachée derrière la somme. Le travail des chercheurs a été ici de trouver une méthode de sommation adaptée, et au passage de redécouvrir un théorème de 1919, bien dissimulé dans la volumineuse littérature sur le sujet. Ceci a fait l'objet d'un second article publié dans le même volume de Physical Review Letters.

Comme souvent en physique, certaines étapes du raisonnement sont des conjectures non démontrées mathématiquement, ce qui renforce l'intérêt des confrontations avec les expériences, à commencer par des mesures du contact plus précises actuellement en cours dans plusieurs laboratoires.

Référence publication:

Contact and Momentum Distribution of the Unitary Fermi Gas
R. Rossi, T. Ohgoe, E. Kozik, N. Prokof'ev, B. Svistunov, K. Van Houcke, F. Werner
Physical Review Letters, 21, 130406 (2018)
DOI: 10.1103/PhysRevLett.121.130406

Resummation of diagrammatic series with zero convergence radius for strongly correlated fermions
R. Rossi, T. Ohgoe, K. Van Houcke, F. Werner
Physical Review Letters 121, 130405 (2018),
DOI:10.1103/PhysRevLett.121.130405

Contacts chercheurs:

- Felix Werner, chargé de recherche au CNRS
- Kris Van Houcke, maître de conférences à l'ENS Paris

Informations complémentaires:
Laboratoire de physique statistique de l'ENS (CNRS/Sorbonne Université/ENS Paris/Univ. Paris Diderot)
Laboratoire Kastler Brossel (CNRS/Sorbonne Université/ENS Paris/Collège de France)
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