Michel - Mercredi 13 Décembre 2006

La rareté attribuée à certaines espèces accélère leur extinction

Plus une espèce animale ou végétale est rare, plus l'homme lui attribue de la valeur... et peut entraîner son extinction. Cette analyse, publiée dans la revue PLOS Biology par des chercheurs du laboratoire Ecologie, systématique et évolution (CNRS – Université Paris 11), bouscule les théories classiques en économie de l'environnement. Elle remet notamment en cause l'exploitation de certaines espèces et contribuera peut-être à changer les comportements et les législations: achat de produits de luxe comme le caviar ou le bois exotique, collection et observation d'espèces rares, chasse.


Tourbillon représentatif des activités humaines
susceptibles d'entraîner l'extinction d'espèces rares

En biologie de la conservation, les chercheurs étudient la dynamique des espèces et en particulier la relation entre la taille des populations et leur survie. Ils ont décrit chez certaines espèces un scénario "en boucle" appelé effet Allee: plus une population est grande, plus elle se reproduit et plus elle prospère, jusqu'à un certain point. A l'inverse, si la taille de la population diminue - augmentation de la mortalité ou baisse de la reproduction - l'espèce ne parvient plus à survivre et à se reproduire, ce qui accroît de plus belle sa diminution, jusqu'à son extinction. On peut citer comme exemple les espèces qui chassent en groupe, se défendent à plusieurs ou ont besoin d'une densité élevée pour que la fécondation soit efficace: invertébrés marins, plantes à pollen, etc. Une des idées communément admises concernant cet effet Allee est sa nature fondamentalement naturelle. Il serait intrinsèque à certaines espèces ou populations. L'homme ne pourrait que favoriser ou, au pire, déclencher ce processus en poussant des populations en dessous de leur seuil minimal de densité.

Un double effet pervers



L'équipe du laboratoire Ecologie, systématique et évolution montre, au contraire, que les activités humaines pourraient créer de toute pièce un effet Allee et ce même chez des espèces qui n'en souffriraient pas naturellement. Comment ? En attribuant de la rareté et donc de la valeur à certaines espèces. Pour parvenir à ce résultat, ils ont modifié un modèle mathématique classique en économie de l'environnement. Ce modèle est souvent utilisé comme justification par les personnes cautionnant l'exploitation intensive d'espèces animales et végétales. Il montre que l'extinction économique d'une espèce survient avant son extinction biologique: si une espèce se raréfie, son exploitation devient trop onéreuse et finit par cesser avant que l'espèce ne soit irrémédiablement détruite, ce qui lui laisse la possibilité de se rétablir.

Mais, comme l'ont montré ces chercheurs, quand l'homme attribue de la valeur à certaines espèces rares, les coûts importants d'exploitation sont contrebalancés par une demande importante. L'exploitation de ces espèces est donc maintenue, même à très faible densité, ce qui accroît leur rareté, donc leur valeur et leur exploitation, et peut, par ce cercle vicieux, mener à leur extinction.

Ils ont décrit plusieurs types d'activités humaines pouvant créer ce processus. Les chasseurs de trophées tout d'abord, collectionneurs de proies comme les grands carnivores, sont prêts à dépenser des fortunes pour ajouter une espèce rare à leur tableau de chasse. L'attrait rencontré pour les produits de luxe - bois rares, oeufs d'esturgeons, fourrures - les produits de médecine traditionnelle ou dernièrement les nouveaux animaux de compagnie (NAC), maintient sur le marché des espèces rares et souvent protégées qui s'arrachent malgré leurs prix élevés. Paradoxalement, les personnes intéressées par l'étude ou la conservation de la biodiversité peuvent aussi contribuer à son déclin. Ainsi, les collectionneurs vont augmenter leur effort, y compris financier, pour acquérir des espèces rares, coquillages, insectes ou plantes. Les "éco-touristes" seront quant à eux d'autant plus attirés par l'observation directe d'espèces qu'elles deviennent rares, entraînant des problèmes de mortalité et de baisse de la reproduction.

Il est donc urgent de changer les mentalités et de contrer ce phénomène qui pourrait mettre en danger de très nombreuses espèces animales et végétales, qu'elles soient rares ou qu'elles risquent de le devenir.

Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL
sous le numéro de dossier 1037632
Informations légales