Redbran - Lundi 1er Février 2016

Provoquer le phénomène de superradiance

Une émission spontanée des électrons beaucoup plus rapide grâce à la superradiance.

En concevant et en réalisant un puits quantique dont la densité électronique est mille fois plus importante que dans les dispositifs habituels, des physiciens ont accéléré d'un facteur un million l'efficacité de l'émission spontanée des électrons grâce au phénomène de superradiance.

L'intensité d'émission (en échelle couleur) mesurée en fonction de l'angle et de la fréquence d'émission pour trois échantillons avec niveaux de dopage surfaciques différents (par ordre croissant de gauche à droite). Illustration: CNRS/INP

Le processus élémentaire à l'origine de l'émission de lumière de la quasi-totalité des sources lumineuses est l'émission spontanée: un corpuscule de matière excité (atome, molécule...) relâche son énergie par l'émission aléatoire d'un photon. Lorsque plusieurs émetteurs identiques sont regroupés dans un volume dont la taille est plus petite que la longueur d'onde émise, ils émettent de concert et bien plus rapidement que lorsqu'ils sont éloignés les uns des autres: c'est la superradiance. Ce phénomène échappait à l'observation dans les dispositifs de matière condensée où les émetteurs sont tous différents, alors qu'il est observé depuis plusieurs dizaines d'années avec des atomes, identiques par nature.

Des physiciens du laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques (CNRS/Univ. Paris Diderot) viennent de contourner cette difficulté en réalisant un dispositif semi-conducteur pour lequel l'interaction de Coulomb associée à la très forte densité électronique donne naissance à des modes collectifs, les plasmons. Ces modes rendent ce système assez homogène pour provoquer de la superradiance et permettre à l'émission spontanée d'être le mécanisme dominant pour la dissipation de l'énergie. Les chercheurs ont ainsi observé, dans leur système, un temps de vie de l'émission spontanée de 10 femtosecondes, soit un million de fois plus rapide que le temps d'émission obtenu pour un électron unique, ce qui s'accorde parfaitement avec les prédictions théoriques. Ce travail est publié dans la revue Physical Review Letters.

La difficulté de ce travail a résidé dans la conception et la réalisation d'un dispositif semi-conducteur à très forte densité d'émetteurs élémentaires, soit, ici, d'électrons. Leur idée a été d'utiliser un puits quantique constitué d'une fine couche d'arseniure de gallium et d'indium (InGaAs) prise "en sandwich" entre deux couches d'arseniure d'aluminium et d'indium (AlInAs). En dopant leur puits quantique avec du silicium durant sa croissance, les chercheurs ont obtenu une concentration électronique (1019 électrons/cm3) mille fois plus importante que ce qui est habituellement utilisé dans les transistors ou les diodes lasers.

Dans un gaz électronique à si haute concentration, les interactions sont très puissantes et lient les électrons ensemble, donnant ainsi naissance à un mode collectif plasmonique dans lequel tous les électrons oscillent en phase. Pour exciter ce mode collectif et observer la luminescence produite, les chercheurs ont fabriqué et étudié des dispositifs de type transistors, où les contacts source et drain permettent d'injecter du courant électrique directement dans la couche d'arseniure de gallium et d'indium dopée et de chauffer les électrons. Les plasmons superradiants sont ainsi excités par transfert thermique du gaz électronique chauffé.

L'étude détaillée de la largeur de raie d'émission a permis de mettre en évidence l'effet de superradiance, qui montre que cette raie d'émission augmente avec la concentration électronique et l'angle d'émission. Pour certains angles, la contribution radiative est la partie prépondérante de l'élargissement, ce qui rend la mesure du taux d'émission très fiable. L'analyse des données révèle que le temps de vie de l'émission spontanée peut être aussi court que 10 femtosecondes. L'émission spontanée devient donc le processus le plus rapide pour dissiper l'énergie qui est fournie au plasmon, beaucoup plus rapide que tous les phénomènes de relaxation non radiatifs caractérisés par des temps de l'ordre de la picoseconde. Cela implique que les plasmons superradiants quittent leur état excité par émission de photons, et pourraient devenir le noyau actif de nouvelles sources de rayonnement efficaces dans l'infrarouge.

Pour plus d'information voir:
Superradiant emission from a collective excitation in a semiconductor
T. Laurent1, Y. Todorov1, A. Vasanelli1, A. Delteil1, C. Sirtori1, I. Sagnes2 et G. Beaudoin2, Physical Review Letters (2015)
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