Des chercheurs de la Direction de l'énergie nucléaire du CEA
(1) ont, pour la première fois, pu prédire quantitativement l'évolution des défauts dus à l'irradiation dans un matériau de structure. Leurs résultats obtenus dans le fer, à partir de l'échelle atomique, par des méthodes de simulation multi échelles, contribueront à une meilleure compréhension du vieillissement des matériaux des centrales nucléaires actuelles et pourront être appliqués aux systèmes nucléaires du futur. Ils font l'objet d'une publication du 4 janvier 2005 dans la revue Nature Materials.
Modélisation prédictive de la microstructure du fer sous irradiation
La cinétique d'évolution des défauts d'irradiation d'un matériau influe directement sur ses changements de microstructure donc sur ses propriétés mécaniques. Prédire quantitativement cette cinétique et les phénomènes qui la régissent est de ce fait un enjeu considérable pour l'industrie nucléaire.
Relever ce défi est maintenant rendu possible par le couplage entre des techniques de simulation numérique opérant à différentes échelles. C'est la simulation multi échelles qui consiste à utiliser les résultats numériques issus d'une échelle de temps et d'espace comme données d'entrée d'une modélisation à l'échelle supérieure:
- dans un premier temps, des simulations numériques
ab initio (2) ont permis, à partir de la mécanique quantique, de décrire la structure et la migration des défauts et des amas de défauts. Ces simulations, qui requièrent des ressources de calcul importantes, ont pu être réalisées par une utilisation intensive des capacités du centre de calcul recherche et technologique (CCRT), installé sur le site CEA de Bruyères-le-Châtel.
- dans un second temps, à partir de ces propriétés élémentaires des défauts, il a été possible de reconstruire, par un modèle cinétique
(3), l'évolution des défauts et leurs effets sur les propriétés macroscopiques d'un échantillon de fer irradié de la taille d'un micron (un millième de millimètre) sur une durée de l'ordre de l'heure.
Comparaison des méthodes
Ces simulations ont été comparées à des mesures expérimentales indirectes
(4); l'excellent accord obtenu montre le réalisme de cette modélisation multi échelles, qui met en évidence le rôle de la migration de petits amas interstitiels et lacunaires qui n'était pas suspectée jusqu'alors. Elles remettent en question l'interprétation de plusieurs expériences et simulations précédentes et ouvrent la voie à la simulation quantitative de matériaux irradiés plus complexes tels que les aciers industriels. Elles seront appliquées à l'interprétation du comportement mécanique des aciers
ferritiques qui constituent les matériaux de structure des centrales nucléaires à fission actuelles, et qui sont proposés pour les centrales à fusion futures.
Les défauts d'irradiations et les modifications structurales induites dans les matériaux
Le bombardement de matériaux par des particules énergétiques, si l'énergie communiquée est suffisante, produit des déplacements d'atomes dans le réseau cristallin par collision balistique. Les atomes frappés peuvent être déplacés sur plusieurs distances inter atomiques et s'immobiliser en position interstitielle en laissant derrière eux des sites vacants appelés lacunes. Ces défauts élémentaires, interstitiels et lacunes, sont mobiles: ils peuvent migrer dans le matériau, s'agréger en amas qui grossissent pour former une microstructure de défauts. Cette dernière va modifier certaines propriétés du matériau, en particulier mécaniques, par exemple au travers de leur interaction avec les dislocations.
(1) Ces résultats sont obtenus dans le cadre du projet européen Perfect pour la prédiction des effets d'irradiation sur les composants des réacteurs nucléaires.
(2) C'est à dire sans paramètre ajustable.
(3) La méthode utilisée est le Monte Carlo cinétique qui permet de reconstituer de manière statistique l'enchaînement dans le temps des différentes réactions entre défauts en fonction de leur probabilité d'occurrences.
(4) Dans le cas présent, évolution de la résistivité avec la température.