Michel - Dimanche 14 Mai 2006

A la poursuite de l'invisible grâce aux lentilles d'Einstein

Bien qu'il ne puisse pas être vu directement, l'Homme Invisible de la littérature et du cinéma savait bien qu'il trahissait sa présence par ses effets sur l'environnement visible. En utilisant un principe similaire, une équipe conduite par Andrew Gould de l'université de l'Ohio s'est lancée à la poursuite des objets célestes les plus difficiles à observer, comme les trous noirs et la matière noire, en analysant la façon dont ils affectent la lumière provenant d'étoiles situées loin derrière eux.

Cet effet de "lentille gravitationnelle", prévu par Albert Einstein, a déjà été observé maintes fois depuis le sol. Mais le télescope spatial SIM PlanetQuest de la NASA permettra à l'équipe de Gould de profiter des lentilles d'Einstein d'une manière inédite. Les scientifiques espèrent avoir un premier "aperçu" réel de la matière sombre, cette mystérieuse substance dont on pense qu'elle constitue 90% de la galaxie. Ils espèrent également faire la part entre le nombre d'étoiles normales dans la galaxie et le nombre d'objets plus exotiques qui ne peuvent pas être directement photographiés par les télescopes actuels.


L'amas de galaxies Abell 2218 agit comme une lentille gravitationnelle
Il est si massif et compact que sa gravité courbe la lumière provenant
des galaxies en arrière-plan, les transformant en longs arcs lumineux


"Nous pourrons analyser des objets en nous basant sur leur masse et non plus sur la lumière qu'ils émettent, et nous pourrons ainsi faire un recensement de tous les objets, qu'ils soient lumineux ou non", explique Gould "Les objets sombres, c'est-à-dire les trous noirs, les étoiles à neutrons, les naines blanches et les nains brunes, sont scientifiquement intéressants parce qu'on ne connaît pas réellement leur nombre".

L'anneau magique d'Einstein


L'analyse que Gould et son équipe veulent mener exige la détermination de la distance et de la masse d'objets cosmiques qu'ils ne pourront pas observer. La clé de cette tâche apparemment impossible est le phénomène appelé "anneau d'Einstein" (voir notre news).

Einstein avait prédit que le champ gravitationnel d'un objet massif agirait comme une lentille en courbant la lumière passant à proximité de celui-ci. Si la Terre, la lentille et une étoile ou une galaxie lointaine sont parfaitement alignées, les astronomes au sol, à l'aide d'un télescope suffisamment puissant, observeraient la source lumineuse éloignée comme un anneau autour de l'objet "lentille" intermédiaire. (En cas d'alignement imparfait, ils observeraient des images jumelles de l'objet lointain). De plus, l'image serait bien plus lumineuse pendant l'alignement puisque la lumière qui normalement passerait au-delà du champ visuel serait redirigée vers lui.

La taille de l'anneau, la luminosité, et la durée de l'événement fournissent des indications sur la distance et la masse de l'objet lentille. Mais les télescopes, de capacité limitée au sol par des contraintes de taille et par notre atmosphère déformante, ne peuvent observer cet anneau que si l'objet lentille a la masse d'une galaxie ou d'un groupe de galaxies. Si la lentille n'a que la masse d'une étoile, l'image de l'objet éloigné est "délayée" dans une proportion de un pour un million, ce qui est trop faible pour la résolution de nos télescopes. C'est ce que l'on appelle une "microlentille".


Principe du phénomène de microlentille gravitationnelle.
L'observateur terrestre voit l'étoile source (la plus éloignée) briller
plus intensément lorsque l'étoile lentille (la plus proche) passe entre eux.
Une planète gravitant autour de l'étoile lentille peut provoquer
une variation dans ce phénomène, comme il est montré
dans cette animation

Les télescopes terrestres peuvent mesurer la différence de luminosité se produisant pendant un tel événement. Mais cette mesure et celle de la durée de l'événement ne sont pas suffisantes pour déterminer la masse et de la distance de l'objet microlentille. Pour les pièces manquantes du puzzle, l'équipe de Gould devra se tourner vers la mission SIM PlanetQuest.

Le détail qui fait toute la différence


SIM sera capable d'effectuer des mesures de luminosité d'un événement microlentille comme les télescopes terrestres mais ceci à partir d'une position avantageuse située à environ 40 millions de kilomètres de la Terre, ce qui fournira aux astronomes une observation stéréoscopique de la lentille. "Ce sera comme observer la scène avec les deux yeux au lieu d'un seul", explique Andy Boden du Caltech, "et nous aurons alors une perception 'en relief' de l'événement".


La mission SIM PlanetQuest,
programmée pour la prochaine décennie


Ainsi, même SIM ne pourra pas résoudre seul l'anneau ou les images jumelles d'Einstein lorsqu'il rencontrera des microlentilles. Mais il pourra indiquer exactement en quel point la lumière d'un côté de l'image brouillée équilibre la lumière de l'autre côté, une position appelée le centroïde. En mesurant la minuscule variation de l'emplacement du centroïde pendant et après l'événement, les scientifiques pourront déterminer la taille de l'anneau d'Einstein et en déduire la masse de l'objet. "Le centroïde variera de quelques dizaines de microsecondes d'arc", précise Gould. "Vue de la Terre, une microseconde d'arc représente la taille de la tranche d'un pièce de monnaie placée sur la Lune".

Maintes opportunités devraient se présenter pour que SIM utilise la technique de la microlentille pour répertorier les constituants du bulbe et du disque de la galaxie. "Nous avons environ 50 millions d'étoiles sources à surveiller", indique Gould. "Il est certain que sur le nombre, quelques objets iront se placer devant certaines de ces étoiles d'assez près (dans l'alignement) pour être étudiés".

Traquer la matière noire dans le halo de la galaxie exigera beaucoup plus de patience, car il y a beaucoup moins d'étoiles lumineuses à éclipser lorsqu'on observe loin du plan galactique."Nous aurons de la chance si nous observons cinq événements mesurables de cette façon durant tout le temps que durera l'expérience SIM", indique Gould. "Mais si nous en trouvions cinq ou même trois au beau milieu de nulle part, il serait alors absolument certain que nous avons affaire à de la matière noire".

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