Les résultats de la plus vaste étude menée dans le monde sur les liens éventuels entre l'usage du téléphone cellulaire et l'incidence des tumeurs du cerveau ne sont pas concluants, selon un chercheur qui a collaboré au Groupe d'études international Interphone. Jack Siemiatycki, professeur à l'Université de Montréal et épidémiologiste au Centre de recherche du CHUM, explique que l'accès restreint aux participants a compromis la validité des résultats de l'étude, qui sont publiés dans l'édition du 18 mai du
International Journal of Epidemiology. "Les conclusions de l'étude Interphone sont ambigus, surprenants et déconcertants", précise-t-il.
Le Groupe Étude internationale Interphone, qui cherchait à déterminer si l'exposition aux radiofréquences des téléphones portables était associée à un risque de cancer du cerveau, était coordonné par le Centre international de recherche sur le cancer. La recherche a été menée par 21 épidémiologistes d'Australie, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de France, d'Allemagne, d'Israël, d'Italie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de Norvège, de Suède et du Royaume-Uni. Elle a porté sur plus de 10 000 personnes: utilisateurs et non-utilisateurs de téléphones cellulaires, survivants du cancer du cerveau étant utilisateur ou non de téléphones cellulaires.
Des résultats paradoxaux
"L'étude révèle, après comparaison de l'ensemble des utilisateurs avec le groupe de non-utilisateurs, que les cas de tumeurs du cerveau n'étaient pas plus nombreux chez les utilisateurs de cellulaires. En fait, de façon surprenante, quand nous avons regroupé tous les utilisateurs indépendamment de leur degré d'utilisation, nous avons découvert que le risque de cancer du cerveau était moindre chez les utilisateurs, déclare le Dr Siemiatycki, professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal. Mais l'étude indique aussi que le risque de tumeur du cerveau était plus élevé chez les personnes qui faisaient une utilisation intensive du cellulaire que chez les non-utilisateurs."
Comment expliquer cette anomalie? Les chercheurs ne peuvent répondre avec certitude. On a pointé du doigt la méthodologie de l'étude et, en particulier, la représentativité des sujets ayant fait l'objet des recherches. Compte tenu d'un taux de participation de 50 % à 60 % des sujets admissibles, il est possible que les participants, tant ceux qui avaient souffert d'un cancer que les sujets en bonne santé, n'aient pas donné un tableau exact de leur usage du téléphone cellulaire. Le Dr Siemiatycki fait valoir que l'origine du problème se trouve dans les contraintes imposées aux chercheurs par les comités d'éthique dans le but de protéger les éventuels sujets de recherche.
"Les règles éthiques sont maintenant si rigides que les chercheurs du Canada, des États-Unis et d'Europe n'ont plus le type d'accès aux bases de données médicales et aux sujets de recherche dont ils auraient besoin pour ce genre d'étude. Souvent, les comités d'éthique exigent que les chercheurs recrutent leurs sujets par l'intermédiaire des médecins traitants, des personnes déjà surchargées de travail. Cette méthode peut être efficace dans le cas de recherches cliniques sur le traitement du cancer, qui éveillent un intérêt professionnel ou personnel chez les médecins, mais non dans le cas d'études sur les causes du cancer. Cette méthode impropre peut produire des résultats faussés."
Malgré les résultats non concluants de l'étude Interphone, les consommateurs ne devraient pas s'alarmer au sujet des risques éventuels de l'utilisation du téléphone cellulaire, souligne le Dr Siemiatycki. "S'il existe des risques, ils sont probablement très faibles. Tous ceux qui s'inquiètent de ces dangers peuvent éviter l'exposition aux radiofréquences en utilisant des appareils mains libres."
Partenaires de la recherche:
La partie de l'étude effectuée au Québec a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada. Les fonds alloués au Groupe d'études international Interphone s'élevaient au total à 19,2 millions d'euros, dont 5,5 millions provenant du secteur privé.
À propos de l'étude:
La partie de l'étude effectuée au Québec, intitulée "Étude cas-témoin sur l'utilisation du téléphone cellulaire et les risques de tumeur du cerveau, de la glande parotide et du nerf auditif" était dirigée par Jack Siemiatycki de l'Université de Montréal et par Marie-Élise Parent de INRS—Institut Armand-Frappier.