Adrien - Mardi 30 Décembre 2025

🐜 Plus nombreuses ou plus robustes ? Le choix des fourmis

Chez les animaux, la nature oscille fréquemment entre la production d'une multitude d'individus moins endurants et la création d'un nombre restreint de spécimens très robustes. Cet arbitrage entre le nombre et la robustesse se manifeste dans de nombreux domaines, depuis les stratégies militaires jusqu'aux systèmes biologiques.

Une recherche parue dans la revue Science Advances examine précisément ce dilemme au sein des colonies de fourmis. Les scientifiques ont observé que certaines espèces diminuent l'investissement dans la cuticule, la couche protectrice de l'exosquelette, afin de générer un plus grand nombre d'ouvrières. Cette tactique autorise le développement de colonies imposantes, pouvant compter des millions de membres.


Reconstruction 3D de l'exosquelette d'une fourmi ouvrière (Myrmoteras sp.) à partir de tomographie aux rayons X.
Crédit: Julian Katzke


Principalement, la cuticule protège les fourmis des prédateurs, de la déshydratation et des pathogènes. Elle constitue également un support structurel pour les muscles. Sa fabrication exige toutefois des ressources limitées, comme l'azote et certains minéraux. Une cuticule plus épaisse consomme davantage de ces nutriments, ce qui pourrait restreindre le nombre d'individus qu'une colonie est capable d'entretenir.

Pour tester cette hypothèse, l'équipe a mesuré le volume de la cuticule et du corps entier chez plus de 500 espèces de fourmis à l'aide de scans 3D. Les observations ont indiqué que l'investissement cuticulaire oscille entre 6% et 35% du volume corporel. En croisant ces données avec des modèles évolutifs, une tendance nette s'est dégagée: les espèces qui allouent moins de ressources à leur cuticule présentent généralement des colonies plus nombreuses.

Si une cuticule plus fine rend chaque fourmi plus vulnérable, elle pourrait néanmoins favoriser l'expansion des colonies. D'après les auteurs, cette réduction de l'armure individuelle est associée à des comportements sociaux avantageux, tels que la recherche collective de nourriture et la division des tâches. Evan Economo, co-auteur de l'étude, établit un parallèle avec l'émergence de la multicellularité, où des unités coopératives, plus simples isolément, permettent l'émergence d'une organisation collective élaborée.

Cette approche est également corrélée à des rythmes de diversification accélérés, impliquant que les espèces à cuticule moins développée semblent se différencier plus rapidement. Les chercheurs émettent l'idée qu'un besoin réduit en azote pourrait aider les fourmis à s'établir dans de nouveaux milieux. Par ailleurs, au sein des vastes colonies, la protection de groupe diminue la nécessité pour chaque ouvrière de disposer d'une défense corporelle puissante.


On peut établir des analogies avec d'autres systèmes, y compris humains. Dans l'histoire militaire, par exemple, les chevaliers lourdement protégés ont cédé la place à des unités plus nombreuses et spécialisées. Arthur Matte, auteur principal, remarque que ce balancement entre quantité et robustesse est omniprésent, et que les fourmis en offrent une illustration probante du point de vue évolutif.
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL
sous le numéro de dossier 1037632
Informations légales