On pensait que seuls les oiseaux de petite taille pouvaient faire baisser leur température pour économiser de l'énergie. Une équipe française de Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC, CNRS - Université de Strasbourg 1), vient de montrer, dans une étude à paraître dans Nature Communications, que le poussin du manchot royal, qui pèse jusqu'à 10 kg pendant sa longue croissance hivernale, est capable de réduire substantiellement sa température corporelle.
Pour un animal à sang chaud, le moyen le plus efficace d'économiser ses réserves énergétiques en période de froid et de disette est de faire baisser sa température pour diminuer l'écart avec le milieu ambiant. Les mammifères hibernants (marmotte) ou les petits passereaux pratiquant une torpeur nocturne (mésange) illustrent le phénomène: ces animaux épargnent une énergie indispensable à leur survie, mais ne peuvent le faire tout en restant actifs et éveillés. Cette adaptation remarquable au passage de la mauvaise saison est rarement observée chez des oiseaux de taille supérieure à celle d'un pigeon.
À gauche, nourrissage d'un poussin de 9 mois par son parent juste revenu de mer (© Götz Eichhorn).
À droite, le rassemblement en crèche, en hiver, permet vraisemblablement aux poussins de diminuer leur vigilance vis-à-vis des prédateurs et de rentrer plus profondément en sommeil (© Yves Handrich).
Ayant découvert que le manchot royal adulte est capable d'hypothermie profonde (abdomen à moins de 20°C) pendant ses plongées en haute mer, les auteurs de l'étude parue dans Nature Communications ont voulu vérifier si son poussin présentait, à terre pendant sa longue croissance hivernale, la même aptitude, bien qu'étant déjà d'un poids bien supérieur aux espèces connues pratiquant la torpeur. Devant jeûner pendant plusieurs semaines, en attendant que ses parents reviennent le nourrir, économiser de l'énergie devient pour lui une question de vie ou de mort. Dix jeunes manchots ont donc été équipés d'appareils enregistreurs: six mesures de température permettant d'estimer les gradients thermiques entre les tissus profonds et la périphérie du corps étaient effectuées simultanément toutes les 20 secondes de mai à novembre, les poussins évoluant librement dans leur colonie de l'île de la Possession (îles Crozet, Terres australes et antarctiques françaises).
Les équipements ont été récupérés avant le premier départ en mer. Les données ont montré que les températures moyennes horaires pouvaient varier de 19 à 41°C, ces grands poussins étant capables de laisser filer leur température la plus profonde (près du coeur) jusqu'à des valeurs moyennes journalière de 33,3°C, soit 4,5°C de moins que la normale. Les facteurs intervenant sur cette hétérothermie sont la localisation par rapport à la périphérie, l'intensité des dépressions (pluie et vent) plus fréquentes durant l'hiver subantarctique, l'état nutritionnel, la qualité des repas épisodiques et l'avancement de la saison. D'autre part, la présence de prédateurs comme les pétrels géants limite vraisemblablement la durée et la profondeur des phases de sommeil des poussins et, par là-même, leur capacité à réduire davantage leurs températures corporelles. Ce travail démontre une nouvelle fois l'incroyable diversité des réponses des animaux sauvages à leur environnement et la nécessité d'aller les étudier dans leur milieu naturel.
Référence:
Heterothermy in growing king penguins, à paraître dans Nature Communications, Götz Eichhorn, René Groscolas, Gaële Le Glaunec, Camille Parisel, Laurent Arnold, Patrice Medina & Yves Handrich.