Des scientifiques ont réussi à observer tous les isotopes issus de la
spallation de l'uranium. Une réaction au cœur des recherches sur la réduction des déchets nucléaires.
Sera-t-il un jour possible de réduire l'impact des déchets de l'industrie nucléaire en les transmutant ? Les scientifiques y travaillent. Une équipe franco-germano-espagnole a franchi une étape importante vers la mise au point de ce procédé d'élimination de certains résidus radioactifs. Avec ses collègues, Monique Bernas, directrice de recherche à l'IPN (Institut de physique nucléaire) à Orsay a ainsi réussi à identifier et à analyser les isotopes (1) issus de la
spallation de l'uranium. Une réaction qu'il faut mieux connaître avant d'envisager la construction des centrales de demain.
Carte des isotopes produits par la collision à grande vitesse (v/c = 0,8)
d'ions uranium sur une cible d'hydrogène.
Les couleurs symbolisent les probabilités de production
de chaque isotope.
L'un des problèmes majeurs de l'industrie nucléaire est la production de substances radioactives, comme les "transuraniens", plus lourds que l'uranium, et pouvant rester nocives pendant des milliers d'années. Les physiciens voudraient aujourd'hui les "transmuter", c'est-à-dire les transformer en isotopes de durée de vie plus courte ou non radioactifs. Une solution qui ne pourra être mise en œuvre que dans des centrales nucléaires d'un type nouveau.
Ces réacteurs "hybrides" élimineraient les déchets "transuraniens" en les contraignant à fissionner (2) sous l'impact de neutrons produits par la collision de protons énergétiques avec les noyaux d'atomes de plomb d'une cible. Le principe de cette toute dernière réaction nucléaire, appelée
spallation, est connu depuis longtemps, mais elle n'avait pas été étudiée dans le détail. Ignorant les quantités et les vitesses exactes des isotopes qu'elle génère, les ingénieurs étaient loin de pouvoir élaborer les plans d'un réacteur. Et cela d'autant plus que la réaction devrait se produire avec d'autres éléments que le plomb au cœur du réacteur !
Dans le cadre d'un programme européen baptisé Hindas (High and Intermediate energy Nuclear Data for Accelerator Driven System), Monique Bernas et ses collègues travaillent donc à mesurer ces grandeurs pour des éléments représentatifs. Ils ont étudié, avec la spallation du fer, du xénon, de l'or et du plomb, celle de l'uranium.
L'étude directe de cette réaction n'étant pas réalisable (ses produits sont impossibles à détecter), les chercheurs ont inversé le processus: ils ont envoyé, à une vitesse de l'ordre de 80 % de celle de la lumière, des noyaux d'uranium dépourvus de leurs électrons sur une "cible" refroidie à – 253 °C et contenant des protons sous forme d'hydrogène liquide. Puis, grâce à un "séparateur de haute résolution", ils ont séparé les myriades de fragments issus de cette collision pour les détecter et les identifier. 1.400 isotopes répartis en 85 éléments ont été étudiés par les physiciens afin de connaître leur abondance et la vitesse avec laquelle ils ont été générés. Un beau résultat, d'autant, comme le précise Monique Bernas, "qu'il s'agit du plus grand nombre d'isotopes jamais observé au cours d'une seule expérience de physique nucléaire" !
(1) Les isotopes d'un élément contiennent dans leur noyau le même nombre de protons mais un nombre variable de neutrons.
(2) C'est-à-dire à se casser en noyaux plus légers.