Une nouvelle étude menée à l'Université de Montréal et au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, en collaboration avec une équipe de recherche de l'Université Stanford, démontre que se fâcher contre son enfant, le frapper, le secouer ou crier après lui de manière répétée sont associés à une diminution de la taille de certaines structures cérébrales à l'adolescence.
Cette étude, qui vient d'être publiée dans le journal
Development and Psychopathology, a été réalisée par Sabrina Suffren dans le cadre de sa thèse de doctorat au Département de psychologie de l'UdeM, sous la direction des professeurs Françoise Maheu et Franco Lepore.
Au Canada et partout dans le monde, ces formes négatives de pratiques parentales sont utilisées fréquemment et encore acceptées socialement par une majorité de personnes.
"Au-delà des modifications cérébrales, je pense que ce qui est important, c'est que les parents et la société soient conscients que le recours fréquent à des pratiques parentales négatives a des conséquences potentiellement néfastes sur le développement des enfants. On parle ici de leur développement social, émotionnel, mais aussi de leur développement cérébral", souligne Sabrina Suffren, docteure en psychologie et première auteure de l'étude.
Émotions et anatomie du cerveau
Les actes graves de maltraitance envers les enfants que sont les abus sexuels, physiques et émotionnels, la négligence ou encore le placement institutionnel ont été associés à des problèmes d'anxiété et de dépression plus tard dans la vie.
Il a également été démontré que les enfants ayant vécu de tels actes présentaient des diminutions de la taille du cortex préfrontal et de l'amygdale, deux structures clés dans le traitement des émotions et l'émergence de problèmes d'anxiété et de dépression.
Dans cette présente étude, les chercheurs ont aussi noté une diminution de la taille du cortex préfrontal et de l'amygdale chez des adolescents ayant fait l'objet de pratiques parentales négatives de manière répétée durant l'enfance, mais sans actes graves de maltraitance.
"Ces résultats sont majeurs et nouveaux, puisque c'est la première fois que des pratiques parentales négatives, sans maltraitance sévère, sont associées à des différences dans la taille de structures cérébrales analogues à ce qui était observé en lien avec la maltraitance sévère", affirme la chercheuse.
Elle ajoute que,
dans une étude parue en 2019, "on avait montré que les pratiques parentales négatives pouvaient provoquer des changements dans le fonctionnement du cerveau des enfants, mais aujourd'hui, on réalise que la structure même du cerveau de ces enfants est aussi altérée".
Images IRM des structures du cerveau plus petites chez les jeunes ayant vécu des pratiques parentales coercitives
Des enfants suivis depuis la naissance au CHU Sainte-Justine
Une des forces de cette étude est le suivi des enfants dès la naissance qui a été mis en place au CHU Sainte-Justine au début des années 2000 par le Groupe de recherche sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant (GRIP) de l'Université de Montréal et par l'Institut de la statistique du Québec. Le GRIP regroupe des chercheurs qui ont organisé le suivi de ces enfants et l'ont assuré sur le long terme, soit les D
rs Jean Séguin, Michel Boivin et Richard Tremblay.
Ainsi, les pratiques parentales et l'anxiété ont été mesurées tous les ans chez les enfants de l'âge de 2 à 9 ans. À partir de ces données, les enfants ont été répartis dans des groupes représentant un niveau faible ou élevé de pratiques parentales négatives, pratiques qui étaient constantes dans le temps.
"Il faut bien garder en tête que les pratiques parentales négatives étaient vécues de manière constante entre 2 et 9 ans. Les différences cérébrales sont donc associées à des pratiques parentales négatives vécues à répétition durant l'enfance", mentionne Sabrina Suffren qui, avec ses collaborateurs, a alors mesuré le degré d'anxiété chez ces enfants et utilisé l'imagerie par résonance magnétique anatomique lorsqu'ils avaient entre 12 et 16 ans.
Cette étude est la première qui tente de déterminer les liens croisés entre l'anatomie du cerveau, les pratiques parentales négatives et l'anxiété vécues par les enfants.