Au centre de la galaxie M87, située à environ 55 millions d'années-lumière dans la constellation de la Vierge, se cache M87*, un trou noir supermassif dont la masse équivaut à six milliards et demi de fois celle de notre Soleil. Ce colosse tourne sur lui-même à une vitesse vertigineuse, et cette rotation génère des phénomènes cosmiques d'une violence inouïe. Pendant près d'un siècle, les astronomes ont observé sans les comprendre ces jets de matière qui s'échappent du cœur de la galaxie, s'étendant sur des milliers d'années-lumière dans l'espace intergalactique.
Formation d'une chaîne de plasmoides dans le plan équatorial d'un trou noir, où la reconnexion magnétique accélère les particules à des énergies extrêmes. Les lignes grises représentent le champ magnétique.
Crédit: Meringolo, Camilloni, Rezzolla (2025)
L'équipe de l'Université Goethe de Francfort, dirigée par le professeur Luciano Rezzolla, a développé un outil de simulation baptisé FPIC. Ce code informatique permet de modéliser avec une précision inédite le comportement des particules chargées et des champs électromagnétiques dans l'environnement extrême d'un trou noir en rotation. Les calculs, qui ont nécessité plusieurs millions d'heures de traitement sur les supercalculateurs allemands, ont révélé que la célèbre mécanique de Blandford-Znajek n'était pas la seule responsable de l'extraction d'énergie.
Les simulations ont mis en évidence un processus physique méconnu: la reconnexion magnétique. Ce phénomène se produit lorsque les lignes de champ magnétique se brisent et se reconnectent brutalement, libérant d'énormes quantités d'énergie. Dans le plan équatorial du trou noir, cette activité génère des chaînes de plasmoides - des structures de plasma ultra-énergétiques - qui se déplacent à des vitesses proches de celle de la lumière. Ces bouffées de plasma contribuent directement à alimenter les jets cosmiques.
L'étude publiée dans
The Astrophysical Journal Letters démontre que cette reconnexion magnétique produit des particules d'énergie négative, un concept contre-intuitif mais parfaitement décrit par les équations de la relativité générale. Ces particules exotiques jouent un rôle clé dans le transfert d'énergie depuis le trou noir vers son environnement. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre comment les noyaux galactiques actifs atteignent des luminosités si extraordinaires et comment les particules sont accélérées à des vitesses relativistes.
Les jets relativistes: autoroutes cosmiques de matière et d'énergie
Les jets astrophysiques sont des flux collimatés de matière et de rayonnement qui s'échappent des régions centrales de certains objets célestes à des vitesses approchant celle de la lumière. Observés pour la première fois en 1918 dans la galaxie M87, ces structures s'étendent souvent sur des dizaines de milliers d'années-lumière, traversant l'espace intergalactique.
La formation de ces jets requiert des conditions extrêmes que l'on trouve principalement autour des trous noirs supermassifs et des étoiles à neutrons en rotation rapide. Leur énergie provient de la rotation de l'objet central, transférée à l'environnement via des champs magnétiques intenses. Les particules accélérées dans ces jets émettent un rayonnement synchrotron, visible dans toutes les longueurs d'onde du spectre électromagnétique.
Ces jets jouent un rôle crucial dans l'évolution des galaxies en régulant la formation stellaire et en chauffant le gaz intergalactique. Lorsqu'un jet percute le milieu environnant, il crée des ondes de choc qui peuvent soit comprimer le gaz pour former de nouvelles étoiles, soit au contraire le disperser et empêcher la formation stellaire. Cette régulation détermine en partie la taille et la morphologie des galaxies.
Les observations récentes montrent que les jets peuvent varier considérablement en intensité et en direction sur des échelles de temps astronomiquement courtes. Cette variabilité s'explique par les processus d'accrétion de matière et de reconnexion magnétique près de l'horizon des événements du trou noir. L'étude détaillée de ces variations permet aux astronomes de sonder les régions les plus proches des trous noirs, inaccessibles par l'observation directe.