Même si l'île Bylot est plus près et plus hospitalière que l'île d'Ellesmere, le taux de survie des oies adultes qui y nichent n'est pas plus élevé. Chez l'oie des neiges, une distance de 1 500 km sépare le site de nidification le plus au sud de celui situé le plus au nord. Les oies qui se rendent dans les colonies les plus septentrionales doivent donc puiser davantage dans leurs précieuses réserves de graisses, ce qui devrait, en théorie, hypothéquer leurs chances de survie. Pourtant, il n'en est rien, rapporte une équipe de recherche franco-québécoise dans un récent numéro du
Journal of Wildlife Management.
Guillaume Souchay et Gilles Gauthier, du Département de biologie et du Centre d'études nordiques, Josée Lefebvre, du Service canadien de la faune, et Roger Pradel, de l'Université de Montpellier, en ont fait la démonstration en comparant le taux de survie des oies nichant dans deux colonies du Nunavut. La première est établie sur l'île Bylot et la seconde niche 800 km plus au nord, près d'Eureka, sur l'île d'Ellesmere. Les oies qui se rendent à Eureka font une migration plus longue de 20% et elles se retrouvent dans un milieu où la saison sans gel est plus courte de 36% que les oies de Bylot. Elles dépensent donc plus d'énergie pour se rendre sur un site de nidification où elles disposent de moins de temps pour se reproduire et refaire leurs forces avant la migration d'automne.
Pour estimer le taux de survie des adultes dans chacune de ces colonies, les chercheurs ont capturé plus de 7 000 oies et ils les ont munies d'un collier et d'une bague portant une combinaison unique permettant de les identifier. Les observations subséquentes de ces oies combinées au retour de bagues provenant d'oies abattues par les chasseurs ont permis d'établir qu'entre 2007 et 2011, les taux de survie fluctuaient entre 0,72 et 0,79 et qu'ils étaient comparables dans les deux colonies.
Comment expliquer qu'il n'y ait pas de prix à payer pour nicher plus loin et dans un environnement moins hospitalier? "Nous n'avons pas vu de différence dans le taux de survie des adultes, mais les coûts sont peut-être ailleurs, fait valoir Gilles Gauthier. Il se peut qu'un plus faible pourcentage d'oies parviennent à se reproduire dans les colonies situées plus au nord ou que la survie des jeunes y soit plus faible." Par ailleurs, poursuit-il, si les oies se donnent la peine de migrer plusieurs centaines de kilomètres plus au nord pour nicher, elles y trouvent sans doute leur profit. "La densité d'oies est plus faible dans ces colonies, de sorte qu'il y a probablement moins de compétition pour la nourriture. De plus, la densité des prédateurs y est moins élevée."
La conclusion de cette étude comporte une bonne nouvelle pour les aménagistes de la faune, ajoute le professeur Gauthier. "Nos résultats montrent que le taux de survie des adultes mesuré à l'île Bylot peut être extrapolé à l'ensemble de la population d'oies des neiges. Il n'est donc pas nécessaire de mesurer ce paramètre dans chaque colonie pour bien gérer l'espèce."