Par Sylvain Laforet (Doctorant, Université de Lille) & Leroux Hugues (Professeur des Universités, Université de Lille).
La mission Habayusa2 a ramené sur Terre de la poussière de l'astéroïde Ryugu en 2020. Ces quelques grammes d'échantillons, partagés entre des équipes scientifiques dans le monde entier, donnent des indices sur l'origine de l'eau sur notre planète bleue.
Parmi les planètes du système solaire, la Terre est la seule à présenter de grandes étendues d'eau liquide à sa surface. Comptant pour près de 70 % de sa surface, les océans ont permis l'éclosion et le développement du vivant. Mais d'où peut bien provenir toute cette eau ? Et quels ont été les processus de formation des océans ?
Il y a environ 4,57 milliards d'années naissait le Système solaire, à partir d'un nuage de gaz et de poussières en rotation autour du jeune Soleil. Au fil du temps, sous l'effet de la gravité et de collisions multiples, cette matière s'est peu à peu agglomérée pour former les planètes... dont la Terre.
Plusieurs
scénarios, qui ne sont pas antagonistes mais complémentaires, sont avancés pour expliquer l'origine de l'eau sur ce qui deviendra plus tard la planète bleue.
L'un d'eux suggère que l'eau serait présente au sein même de la matière présente dans le disque protoplanétaire qui s'est accrétée pour former notre planète. Dans ce cas l'eau pourrait avoir été piégée sous la forme de petites inclusions fluides dans les minéraux, ou présente au sein même de la structure de ces minéraux, relativement uniformément diluée.
Manoeuvre d'Hayabusa2 à la surface de l'astéroïde Ryugu. Les faibles forces de gravité font que la sonde rebondit immédiatement après le contact avec l'astéroïde. Source: SciNews et JAXA, University of Tokyo, Kochi University, Rikkyo University, Nagoya University, Chiba Institute of Technology, Meiji University, Aizu University, AIST.
Une autre hypothèse stipule que l'apport de l'eau sur la Terre aurait été plus tardif, par des chutes de comètes ou d'astéroïdes riches en eau. Du fait de leur relativement petite taille, comparé aux planètes, les astéroïdes n'ont pas vécu d'évènement de haute température qui aurait pu modifier leur chimie. De ce fait, ils n'ont que très peu évolué depuis leur formation, il y a 4,57 milliards d'années.
Les astéroïdes, marqueurs de la genèse du système solaire
Alors que les planètes telluriques se sont formées proches du Soleil (entre 0,4 et 1,5 unités astronomiques, une unité astronomique représente la distance Terre Soleil, d'environ 150 milliards de kilomètres), les astéroïdes sont principalement présents dans des régions plus éloignées du Soleil, notamment dans la "ceinture principale" (2 à 4,5 unités astronomiques).
Ces régions, plus froides, sont propices à l'agglomération de glaces d'eau et de poussières silicatées, qui donne naissance aux astéroïdes. Après leur formation, certains astéroïdes sont amenés à migrer au sein du système solaire,
pour atteindre des orbites plus proches du soleil, similaires à celle de la Terre: ce sont les astéroïdes géocroiseurs. Parmi eux, l'astéroïde carboné Ryugu (1 kilomètre de diamètre), a été l'objet d'étude de la mission spatiale
Hayabusa2 menée par l'Agence Spatiale Japonaise (JAXA) entre 2014 et 2020.
La capsule Habayusa2 atterit dans le désert australien, avec à son bord quelques précieux grammes de poussière d'astéroïde.
JAXA, CC BY
La poussière de Ryugu, vue à l'oeil nu dans une des capsules de Habayusa2. L'ouverture fait 2 centimètres de diamètre.
JAXA, Fourni par l'auteur
La sonde a d'abord étudié Ryugu de près, puis en a collecté des échantillons dans une manoeuvre impressionnante, avant de repartir vers la Terre. Ainsi, le 6 décembre 2020, quelques grammes de poussière (5,4 grammes) de cet astéroïde ont atterri en Australie à bord d'une capsule, et c'est avec joie que nous avons reçu à l'Université de Lille une toute petite partie de ce trésor: quelques grains, à peine visibles à l'oeil nu, peut-être détenteurs d'éléments de réponses permettant comprendre la formation des océans sur Terre.
Des observations à l'échelle du nanomètre au microscope électronique
Notre travail de recherche consiste à décrypter cette matière céleste, jusqu'à l'échelle de l'atome, à la recherche du moindre indice ! L'instrument que nous utilisons pour sonder cette échelle est un
microscope électronique en transmission. Il émet un faisceau d'électrons qui traverse l'échantillon.
Le signal recueilli, suite à l'interaction entre cette matière et le faisceau d'électrons, nous délivre des informations structurales et chimiques sur les assemblages minéralogiques qui la constituent. Cette technique permet d'observer des détails allant jusqu'au nanomètre, soit un milliardième de mètre, ce qui équivaut à diviser l'épaisseur d'un cheveu par 100 000.
L'eau "cachée" de Ryugu
Les études des échantillons de l'astéroïde Ryugu révèlent qu'ils sont relativement secs, c'est-à-dire qu'ils ne contiennent que très peu d'eau moléculaire H
20. En revanche, ces échantillons sont majoritairement constitués d'argiles riches en magnésium et en fer: elles représentent plus de
70 % du volume de l'astéroïde.
Ces argiles sont des minéraux avec une structure microscopique constituée d'un empilement de feuillets (qui peuvent potentiellement accueilir des molécules d'eau), ainsi appelés "phyllosilicates". Ils contiennent d'abondants groupements hydroxyles (-OH) qui sont intrinsèquement des briques de leur édifice cristallin. Ces derniers sont formés d'oxygène et d'hydrogène, c'est-à-dire les mêmes atomes que ceux qui constituent les molécules d'eau.
Observation d'une fine tranche d'un grain de Ryugu au microscope électronique en transmission (à gauche) et analyse chimique de cette région (à droite).
Les phyllosilicates apparaissent en vert/bleu et représentent plus de 70 % du volume total des échantillons de Ryugu.
Fourni par l'auteur
Une des raisons de la présence de phyllosilicates dans les petits astéroïdes remonte aux prémices du Système solaire. Lors de la formation de ce dernier, il y a environ 4,57 milliards d'années, les poussières et les glaces s'agglomèrent progressivement jusqu'à donner naissance aux planètes, aux astéroïdes ainsi qu'à d'autres objets célestes (comètes...).
Sur des astéroïdes de petite taille tels que Ryugu, les poussières constituées de silicates anhydres (dépourvus d'eau) coexistent avec des glaces d'eau. Peu après la formation de l'astéroïde, ce dernier va se réchauffer suite aux désintégrations spontanées d'éléments radioactifs, ce qui fait fondre cette glace d'eau. S'en suit un
épisode d'"altération aqueuse", où cette eau interagit avec les silicates environnants pour former les phyllosilicates que nous observons aujourd'hui dans Ryugu.
Durant la formation de la Terre, et peu après sa formation, les chutes massives d'astéroïdes similaires à Ryugu ont pu y délivrer des quantités abondantes de phyllosilicates. Suite aux évènements de haute température sur Terre, groupements hydroxyles (-OH) auraient été détachés de la structure minéralogique des argiles pour former des molécules d'eau:
Les intenses bombardements d'astéroïdes tels que Ryugu subis par la Terre durant ses jeunes années auraient ainsi fortement participé à la formation progressive des océans.
Nos recherches, où l'infiniment grand côtoie l'infiniment petit (milliardième de mètre), laissent entrevoir le rôle de ces astéroïdes carbonés quant à l'apparition des océans sur Terre ainsi qu'au développement du vivant. Les nuages moléculaires, représentés ici par les "pilliers de la création" (à gauche) sont les régions où naissent les étoiles leurs systèmes stellaires.
NASA (JWST) ; JAXA ; Fourni par l'auteur
De l'eau... mais pas que !
L'astéroïde Ryugu est donc constitué à plus de 70 % de phyllosilicates, mais il contient également quelques pourcents de matière organique (environ 5 à 7 % en masse).
Cette matière, constituée de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote, abrite des
molécules essentielles au développement du vivant sur Terre: les acides aminés. Ces courtes molécules sont les briques élémentaires impliquées dans la structure des protéines. Bien que présente en faible proportion dans Ryugu, cette présence d'acides aminés suggère que les astéroïdes carbonés ont pu apporter les ingrédients nécessaires au
développement de la vie sur Terre il y a environ 3,8 milliards d'années.