Sous l'effet du champ électrique intense d'une forte impulsion laser, des électrons peuvent s'échapper d'un atome par "effet tunnel" en un milliardième de milliardième de seconde. Des physiciens allemands ont récemment réussi pour la première fois à observer ce phénomène quantique bien connu pendant qu'il était en train de se produire. Cette première vue directe sur la dynamique de l'effet tunnel des électrons représente une avancée dans le domaine de l'analyse des états à courte durée de vie des atomes ou des molécules.
Une impulsion laser peut être vue comme un champ électrique oscillant. Sur la crête de ces oscillations, la force peut être si importante que, bien que les électrons externes ne possèdent pas suffisamment d'énergie pour surmonter l'attraction du noyau, ils peuvent s'échapper par ce que l'on appelle l'effet tunnel. Cependant ce phénomène se produit si rapidement que les instruments actuels ne peuvent qu'observer l'atome ionisé final, et non pas tous les états intermédiaires.
Après chaque crête successive de l'impulsion laser (rouge), la probabilité
pour qu'un électron traverse la barrière de potentiel (vert) augmente d'un cran.
Ce processus quantique a été prédit il y a 40 ans, mais n'a été observé
que récemment en temps réel par les chercheurs de l'Institut Max-Planck
Ferenc Krausz et ses collègues de l'Institut Max-Planck d'Optique Quantique ont découvert un moyen de passer outre les limitations des instruments en sondant des atomes à l'aide de deux impulsions lumineuses de longueurs d'onde différentes précisément calibrées pour prendre des instantanés du processus.
La technique implique le sondage d'atomes possédant des électrons très fortement liés, dans le cas présent des atomes de néon, et qui ne s'ionisent pas facilement à l'aide d'une seule impulsion laser. Les atomes doivent d'abord être préparés par une impulsion excitatrice, qui envoie certains des électrons vers les régions externes de l'atome où l'effet tunnel peut ensuite être provoquée par une impulsion ionisante.
C'est dans ce procédé en deux étapes que tout se joue: si l'impulsion excitatrice possède une longueur d'onde beaucoup plus courte que l'impulsion laser ionisante, elle peut être générée en de nombreux points du cycle de l'impulsion ionisante. C'est uniquement en ces points que les électrons seront en mesure de s'échapper par effet tunnel. Ensuite, on peut reconstruire graduellement une illustration de la façon dont les électrons se sont échappés de l'atome en relevant les instants auxquels l'effet tunnel s'est produit dans le cycle du laser ionisant.
Dans la pratique, les deux impulsions doivent être synchronisées à quelques milliardièmes de milliardième de seconde pour obtenir la précision nécessaire. Pour y parvenir, les chercheurs ont utilisé le même laser infrarouge pour produire les deux impulsions. Le laser traverse d'abord un jet de gaz pour générer une impulsion de longueur d'onde très courte de lumière ultraviolette. Cette impulsion est ensuite dirigée sur l'échantillon d'atomes de néon, suivie par l'impulsion initiale retardée. Finalement, à l'aide de miroirs judicieusement disposés pour altérer précisément le retard, les physiciens peuvent dresser une carte de l'effet tunnel des électrons avec une résolution de moins d'une femtoseconde (10^-15 s).
Selon la théorie quantique, la probabilité pour qu'un électron traverse la barrière de potentiel par effet tunnel doit augmenter par saut avec chaque crête successive de l'impulsion ionisante. Krausz et son équipe sont les premiers à pouvoir confirmer "de visu" ce fait (voir la figure).