la torpeur en période de disette
Une nouvelle réponse aux rigueurs climatiques
Une récente étude publiée dans la revue Oecologia apporte un nouvel éclairage sur la manière dont les animaux peuvent répondre aux changements climatiques. Une équipe de chercheurs de l'unité Mécanismes adaptatifs et évolution (Muséum national d'Histoire naturelle/CNRS) et du laboratoire Écologie comportementale et sociobiologie du Centre allemand de primatologie (Université de Göttingen) vient d'explorer cette question à travers l'étude de la physiologie d'un petit primate des forêts sèches de Madagascar, le microcèbe murin.
Microcèbe murin, Kirindy, Madagascar
© Pauline Vuarin
Cette étude démontre qu'en début de saison sèche, l'usage de la torpeur (réduction contrôlée du métabolisme et de la température corporelle) est ajusté en fonction de la disponibilité en nourriture, et non pas en fonction du climat ou de la durée du jour. Cela suggère que les animaux à températures fluctuantes peuvent compenser l'effet d'aléas environnementaux par de rapides ajustements d'économies d'énergie, ce qui pourrait les protéger en partie des changements climatiques.
Pour comprendre comment les animaux peuvent répondre aux changements climatiques, il est nécessaire de comprendre comment ils ajustent leurs changements d'état saisonnier aux aléas climatiques. S'ils régulent mal ces transitions, cela peut compromettre leurs chances de survie ou de reproduction.
Le microcèbe murin, étudié ici par les chercheurs, utilise régulièrement la torpeur au cours de l'hiver austral pour économiser son eau et sa nourriture, et maximiser ses chances de survie à cette saison, sèche et froide. Mais, à quel moment les microcèbes doivent-ils commencer à utiliser la torpeur: lorsque la saison doit arriver (donc en anticipation), ou lorsque la saison sèche a réellement débuté?
L'enjeu expérimental était d'arriver à désynchroniser la saison sèche "climatique" (fin des pluies, jours courts) de la saison sèche "biologique" (faible quantité de nourriture et d'eau) pour révéler laquelle de ces deux conditions gouverne l'usage de la torpeur ?
Cette expérience fut menée avec des microcèbes sauvages, équipés d'enregistreurs thermiques miniaturisés, répartis sur deux parcelles forestières distinctes: la première, conservée dans son état naturel, la seconde équipée de mangeoires distribuant plus de nourriture que nécessaire.
Le résultat fut sans appel: les individus ayant accès à la supplémentation alimentaire repoussèrent leur usage de la torpeur de 1 à 2 mois, alors que les individus contrôles utilisèrent régulièrement la torpeur dès le début de l'expérience, concomitante de l'entrée dans la saison sèche.
Cette étude démontre, pour la première fois en conditions naturelles, chez un animal hétérotherme (capable d'entrer en hypothermie contrôlée), que le démarrage de la torpeur s'ajuste aux contraintes énergétiques perçues, et non en anticipation de la rigueur hivernale à venir.
Il reste toutefois une incompréhension à lever: pourquoi les microcèbes alimentés artificiellement se sont-ils mis à utiliser la torpeur alors qu'ils continuaient à être nourris ?
Cela démontre que la flexibilité de l'usage de la torpeur est temporaire, restreinte à la période de transition entre la saison humide et la saison sèche, pendant laquelle les fluctuations climatiques et de nourriture sont peu prévisibles. Une fois au cœur de la saison sèche, l'usage de la torpeur deviendrait systématique, indépendamment de la disponibilité en nourriture.
Microcèbe murin équipé d'un enregistreur de température, Kirindy, Madagascar.
© Pierre-Yves Henry
REFERENCES: Pauline Vuarin, Mélanie Dammhahn, Peter M. Kappeler, Pierre?Yves Henry When to initiate torpor use? Food availability times the transition to winter phenotype in a tropical heterotherm. Oecologia 2015 - DOI 10.1007/s00442-015-3328-0
Source: CNRS/MNHM