Adrien - Samedi 3 Octobre 2015

Un nouvel acteur du câblage du cerveau

Des chercheurs de l'Institut Jacques Monod mettent en évidence un nouveau mécanisme contrôlant la taille et le câblage des aires corticales dédiées aux fonctions cérébrales complexes via une régulation fine de la migration et de la répartition des premiers neurones corticaux, les cellules de Cajal-Retzius (CRs). De manière surprenante, ils révèlent que l'exocytose dépendant de la protéine membranaire VAMP3, dont la fonction était précédemment considérée comme restreinte aux cellules non neuronales du cerveau mature, module la vitesse de migration de ces neurones et orchestre leur activité de signalisation. Ces travaux, publiés dans la revue Current Biology, ouvrent la perspective qu'un contrôle strict de la cinétique de migration des sous-types de CRs contribue à l'évolution de la connectivité corticale.



Le cortex cérébral est divisé en aires primaires, qui traitent les entrées sensorielles et exécutent les commandes motrices, et en aires d'ordre supérieur (associatives et secondaires) qui sont essentielles pour l'intégration de l'information sensori-motrice et les fonctions cognitives. La taille relative des territoires corticaux dédiés aux aires d'ordre supérieur a notablement évolué chez les primates où elles représentent 80% du cortex cérébral. Les aires primaires sont connues pour être définies dès les stades embryonnaires. En revanche, on pensait jusqu'à lors que la différenciation des aires d'ordre supérieur s'effectuait plus tardivement, au cours de la vie postnatale, sous le contrôle des afférences sensorielles en provenance du thalamus.

L'équipe d'Alessandra Pierani montre que les aires d'ordre supérieur sont déjà spécifiées à des stades embryonnaires. Ils révèlent de plus que la taille des aires d'ordre supérieur dans les systèmes somato-sensoriel, auditif et visuel de la souris, est déterminée par la cinétique de migration des sous-populations de neurones corticaux précoces: les cellules de Cajal-Retzius (CRs). Les CRs sont les premiers neurones corticaux à être générés et sont surtout connus pour leur rôle dans la formation des couches corticales ou lamination. Ils comprennent des sous-types distincts au plan moléculaire qui sont générés aux frontières du cortex en développement et migrent tangentiellement à sa surface afin d'envahir des territoires complémentaires.


Figure 1: Les territoires corticaux chez l'adulte sont déterminés par la migration et la distribution des sous-types de neurones signalisateurs: les cellules de Cajal-Retzius (vertes, rouges et bleues) au cours du développement. Des simulations mathématiques réalisées en collaboration avec Yoshihiro Morishita (Institut Riken, Kobe, Japon) montrent que les paramètres de migration, notamment la vitesse et la directionnalité, régulent la distribution des sous-types de cellules de Cajal-Retzius.

Figure 2: La vitesse de migration des sous-types des CRs régit leur activité de signalisation dans les territoires corticaux et la taille des aires corticales d'ordre supérieur. Les sous-types de CRs migrent à partir des centres de signalisation aux frontières du cortex cérébral en développement pour couvrir les territoires complémentaires (S-CRS (vert), CH-CR (bleu) et PSB-CR (rouge)) et émettent des signaux qui contrôlent le mode de division des progéniteurs (Griveau et al., 2010). L'augmentation de la vitesse de migration des S-CRS et CH-CRS (++) grâce à l'inactivation de VAMP3, engendre leur invasion de territoires corticaux plus éloignés (doubles pointes de flèches vertes et bleues). Cela modifie la composition et l'activité de signalisation des CRs dans les territoires embryonnaires à E11 et par la suite modifie la taille des aires corticales d'ordre supérieur dans l'animal post-natal (P8). La répartition des CRs servirait également à guider les afférences du thalamus (TCA: axones thalamo-corticaux).

© Alessandra Pierani


En utilisant l'imagerie time-lapse, la génétique et la modélisation mathématique, les chercheurs démontrent que les différences de date de génération, de vitesse de migration et de directionnalité, qui sont spécifiques de chaque sous-type de CRs, déterminent leur invasion différentielle des territoires corticaux. La vitesse de migration est modulée de façon autonome par les protéines membranaires associées aux vésicules (VAMPs) qui sont essentielles pour la fusion membranaire et à l'exocytose. De manière surprenante, ce travail a révélé le rôle de VAMP3, dont la fonction était précédemment considérée comme restreinte aux cellules non neuronales du cerveau mature. L'inhibition de l'activité de VAMP3 dans les sous-types de CRs modifie leur distribution dans le cortex embryonnaire et leur activité de signalisation qui influence le mode de prolifération des progéniteurs corticaux. Cela se traduit par une expansion des aires d'ordre supérieur aux stades postnataux et un recâblage correspondant des afférences thalamo-corticales.

Ces résultats montrent donc que la cinétique de migration des CRs aux stades embryonnaires contrôle la taille des territoires corticaux alloués aux fonctions d'ordre supérieur après la naissance, révélant ainsi de nouveaux rôles pour la migration neuronale de cellules signalisatrices et le trafic vésiculaire dépendant de VAMP3 dans le câblage cérébral. Ces résultats ouvrent la possibilité intéressante qu'un contrôle strict de la cinétique de migration des sous-types de CRs contribue à l'augmentation de la taille des territoires corticaux dédiés aux fonctions cognitives et à l'évolution de la connectivité corticale.
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