L'analyse des signaux électriques à l'origine de nombreux événements biologiques vitaux, tels que l'activité cérébrale, le rythme cardiaque ou la sécrétion d'hormone, permet de développer des dispositifs médicaux bioélectroniques qui pallient à d'éventuelles défaillances. Les scientifiques de l'Institut de chimie et biologie des membranes et des nanoobjets (CNRS/Université de Bordeaux) ont développé un nouveau dispositif qui permet d'analyser les signaux unicellulaires émis par les îlots pancréatiques endocrines pour réguler le taux de glycémie et de diabète, trop faibles pour être mesurés par des électrodes métalliques classiques. Ces résultats font l'objet d'une publication dans
Advanced Science.
Les signaux électriques, qu'ils soient à l'échelle cellulaire, comme les potentiels d'action, ou à l'échelle multicellulaire, commandent l'activité des cellules et des organes dits excitables. Leur enregistrement extracellulaire est utilisé pour explorer les mécanismes de cette activité, mais aussi dans des dispositifs médicaux tels que l'électrocardiogramme (ECG) ou l'électroencéphalogramme (EEG). Alors que des signaux de grande amplitude sont générés par les neurones et les muscles, ils sont beaucoup plus faibles dans les organes sécréteurs d'hormones comme les îlots pancréatiques qui jouent un rôle central dans l'homéostasie(*) du glucose. Leur dysfonctionnement est d'ailleurs impliqué dans la plupart des formes de diabète. Hélas, les mesures extracellulaires classiques utilisant des électrodes métalliques manquent de sensibilité présentent un niveau de bruit élevé, ce qui les rend moins adaptées pour mesurer les signaux unicellulaires de faibles amplitude générés par certains micro-organes.
A la frontière entre science des matériau, microélectronique et biologie, les scientifiques de l'Institut de chimie et biologie des membranes et des nanoobjets (CNRS/Université de Bordeaux) et du Laboratoire de l'intégration des matériaux aux systèmes (CNRS/INP) ont développé un nouveau dispositif basé sur des transistors électrochimiques organiques verticaux (vOECT) couplés à une électronique spécialement dédiée à ce type de mesure. Ces transistors électrochimiques organiques (OECT) réagissent en effet à de très faibles changements d'environnement ionique et offrent un excellent rapport signal/bruit puisque l'amplification se fait directement à la source, à l'intérieur du transistor lui-même qui joue à la fois le rôle de capteur et celui d'amplificateur.
Cette combinaison leur a permis une analyse quantitative des signaux unicellulaires dépendant du glucose et de leur propagation dans les îlots pancréatiques. Cette technologie émergente, jamais encore utilisée pour des cellules produisant des signaux de faible amplitude, permet d'envisager l'implantation de transistors organiques dans des biocapteurs cellulaires en diabétologie. Plus généralement, ce suivi non invasif, crucial dans les investigations physiologiques qui vont permettre de comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements des micro-organes, ouvre de nombreuses perspectives in vitro et ex vivo dans le domaine des organes-sur-puces, comme par exemple le remplacement d'organe défectueux par un nouvel organe bioélectronique...
(*) L'homéostasie correspond à la capacité d'un système à maintenir l'équilibre de son milieu intérieur, quelles que soient les contraintes externes. À l'échelle d'un organisme, il s'agit de l'ensemble des paramètres devant rester constants ou s'adapter à des besoins spécifiques, comme la température corporelle, la glycémie, la pression sanguine ou le rythme cardiaque.
Micro-organes des îlots de Langerhans. A: les transistors électrochimiques organiques verticaux (vOECTs) combinée à une carte électronique. B: gauche, micro-organismes d'îlots de Langerhans ensemencés sur un dispositif ; droite, réponse électrique des vOECT qui indique une amplification forte et optimale à environ 0,2 V. C: profils des activités électriques de cellules uniques, les potentiels d'action (AP) et de l'activité électrique de micro-organismes couplés (SP). D: dépendance au glucose des signaux enregistrés.
© Jochen Lang
Référence:
Abarkan, M., Pirog, A., Mafilaza, D., Pathak, G., N'Kaoua, G., Puginier, E., O'Connor, R., Raoux, M., Donahue, M.J., Renaud, S. & Lang, J.
Vertical Organic Electrochemical Transistors and Electronics for Low Amplitude Micro-Organ Signals
Advanced Sciences 2022
https://doi.org/10.1002/advs.202105211
Contacts:
- Jochen Lang - Chercheur à l'Institut de chimie et biologie des membranes et des nanoobjets (CNRS/Université de Bordeaux) - j.lang at cbmn.u-bordeaux.fr
- Stéphanie Younès - Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS - inc.communication at cnrs.fr
- Anne-Valérie Ruzette - Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS - anne-valerie.ruzette at cnrs.fr
- Christophe Cartier dit Moulin - Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC - inc.communication at cnrs.fr