Homme et Singe partagent-ils les mêmes représentations visuelles du monde environnant ? Dans une étude publiée dans
PNAS le 18 avril 2011, une équipe du Centre de Recherche Cerveau et Cognition (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier) montre que lorsque l'Homme est contraint par le temps, il base sa décision sur les mêmes briques cognitives que le Singe pour catégoriser les éléments de la scène qu'il regarde.
L'Homme et le Singe ont en commun une bonne partie de leur patrimoine génétique, ce qui explique que les deux espèces partagent des similitudes, non seulement morphologiques, mais aussi comportementales. Mais l'Homme et le Singe se représentent-ils de la même manière le monde qui les entoure ?
Dans l'expérience des chercheurs, deux macaques et onze hommes devaient déterminer, en moins d'une seconde, si les images montrées présentaient ou non un animal. © CerCo, D. Fize, M. Cauchoix, M. Fabre-Thorpe.
Pour répondre à cette question, Denis Fize, Maxime Cauchoix et Michèle Fabre-Thorpe, du Centre de Recherche Cerveau et Cognition (CerCo), ont comparé le comportement de deux macaques et onze volontaires humains dans une tâche de catégorisation "Animal - Non-animal". Les sujets ont été confrontés à une série d'images, représentant soit un animal, dans son environnement naturel (loup dans une forêt) ou au contraire dans un environnement incongru (loup dans un bureau), soit simplement des objets manufacturés (boite aux lettres, chaise...) dans les mêmes conditions. Chacune des images était flashée pendant environ 50 millisecondes et les sujets devaient très rapidement, en moins d'une seconde, déterminer si la scène comportait ou non un animal. Il suffisait de lever la main ou la patte d'un bouton et de toucher l'écran lorsqu'un animal figurait effectivement sur l'image, ou de maintenir enfoncé ce même bouton pour faire défiler les images si ce n'était pas le cas. Les singes ont été entraînés à répondre à la consigne par des expérimentateurs, préalablement au test. Cependant, dans le but de préserver leur motivation et le niveau de difficulté de la tâche, l'expérience a été réalisée avec un mélange d'images totalement nouvelles et d'images qui leur étaient familières.
Les chercheurs ont pu constater que les macaques répondaient correctement dans 70% des cas, contre 80% pour les humains. Dans l'ensemble, les singes étaient donc capables de catégoriser un animal quel que soit son contexte de présentation, montrant qu'ils basaient bien leur décision sur le concept de l'animal et non sur des stratégies plus simples, utilisées sur certains ordinateurs, comme la statistique générale des images. Les scientifiques ont également remarqué que la réponse des singes, tout comme celle des hommes, était plus juste et rapide lorsque l'animal sur l'image se trouvait dans un environnement naturel. En revanche, les performances des deux espèces diminuaient significativement quand un environnement incongru entourait l'animal ou l'objet, ce qui laisse supposer que le système visuel des sujets se câble de façon similaire grâce à leur expérience quotidienne.
Si l'homme avait eu le temps d'appliquer des stratégies sophistiquées, il aurait répondu correctement pour chaque image, mais contraint par les exigences temporelles de la tâche, il base sa décision sur des processus anciens apparus chez un ancêtre commun au Singe et à l'Homme. Ainsi, la "catégorisation visuelle superordonnée", c'est-à-dire la capacité à généraliser et abstraire les propriétés du monde visuel, est un nouveau point commun que partagent les deux espèces. Elle est vraisemblablement portée par des réseaux neuronaux similaires.