Adrien - Dimanche 11 Novembre 2018

La magie de l'orignal

L'orignal peut transformer radicalement le visage des écosystèmes forestiers

L'orignal est un magicien. Il peut transformer une forêt de feuillus en forêt de conifères ou encore faire apparaître une prairie forestière là où trônait une sapinière. Pour réussir ces prodiges, les orignaux doivent évidemment atteindre une densité critique et besogner pendant plusieurs années, mais leur action combinée peut métamorphoser les paysages après une coupe forestière. C'est ce que suggèrent des travaux menés en Norvège et au Québec auxquels collabore Laurent De Vriendt, du Département de biologie.


Photo: Ryan Hagerty
En Norvège comme au Québec, les densités élevées d'élans ou d'orignaux peuvent altérer la trajectoire de la succession végétale après une coupe forestière.

Le doctorant rattaché au Centre d'étude de la forêt et au Centre d'études nordiques vient d'ailleurs de cosigner dans la revue Ecosphere une étude qui illustre clairement l'effet de l'élan, un très proche cousin de l'orignal, sur les forêts scandinaves. En Norvège, les populations de ce cervidé sont en croissance depuis un demi-siècle et les densités sont maintenant telles qu'on craint pour l'intégrité des forêts boréales et le maintien de la diversité biologique. Il y a quelques années, une équipe de la Norwegian University of Science and Technology a installé 31 exclos de 400 m² dans des sites qui venaient de faire l'objet de coupes à blanc. Le but: déterminer la façon dont se déroulerait la succession végétale en absence de l'élan.


Après sept ans de suivi, les chercheurs ont constaté que la végétation située à l'intérieur des exclos était dominée par des arbres feuillus alors que les conifères dominaient dans les sites contigus soumis au broutage et au piétinement par les élans. "L'une des différences importantes est l'absence de spécimens de plus de 2 m de Sorbus aucuparia (le sorbier des oiseaux) à l'extérieur des exclos, souligne Laurent De Vriendt. Il s'agit d'une espèce clé des forêts boréales scandinaves, notamment parce qu'elle fournit de la nourriture aux insectes et aux oiseaux. Aucun des petits sorbiers ne survit lorsque les élans peuvent les brouter."

Les chercheurs ont aussi constaté que la biomasse des plantes herbacées et des fougères était beaucoup plus grande à l'intérieur des exclos. "L'élan a un effet important et immédiat sur les premières étapes de la succession végétale en forêt boréale, résume l'étudiant-chercheur. Les changements qu'il provoque pourraient, par effet de cascades, altérer le fonctionnement de l'écosystème."

Laurent De Vriendt et son directeur de thèse Jean-Pierre Tremblay mènent une expérience similaire dans les forêts de la Gaspésie, une autre région où les densités d'orignaux sont élevées. En 2010 et 2011, des exclos ont été installés dans 15 sites qui avaient été coupés à blanc. "Nous avons constaté qu'ici aussi l'orignal provoque des modifications dans la composition des communautés végétales après coupe. Nos premières analyses indiquent que le sorbier, le bouleau, le cerisier et le sapin baumier sont fortement broutés par l'orignal, ce dont profite grandement le framboisier", résume le doctorant.

L'orignal fait évidemment partie de l'écosystème forestier gaspésien et son abondance élevée réjouit les pourvoyeurs et les chasseurs. Par contre, lorsque ses densités deviennent trop fortes, le maintien de l'intégrité de la forêt boréale et l'approvisionnement en matière ligneuse peuvent être compromis. "C'est à ce chapitre que la recherche peut apporter une contribution importante, souligne Laurent De Vriendt. Nos travaux visent à établir les densités d'orignaux et l'intensité du broutage à partir desquelles les effets sur le maintien des processus écosystémiques essentiels sont trop élevés."
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL
sous le numéro de dossier 1037632
Informations légales