Adrien - Samedi 17 Octobre 2015

Lien entre diversité bactérienne et cycle du carbone dans l'océan Austral

Des chercheurs du Laboratoire d'océanographie microbienne (LOMIC/OOB, CNRS / UPMC) et du Laboratoire d'océanologie et de géosciences (LOG, CNRS / Université du Littoral Cote d'Opale / Université de Lille 1) ont collecté, pendant la campagne KEOPS2 dans l'océan Austral, un jeu de données inédit combinant des mesures de flux de carbone et de biodiversité microbienne. Les chercheurs ont ainsi pu démontrer qu'il existait un lien entre la diversité des communautés bactériennes marines et leur productivité.

Les bactéries marines jouent un rôle clef dans le cycle du carbone océanique. En effet, chaque année, environ 20 milliards de tonnes de carbone organique produit par photosynthèse sont dégradées par les bactéries marines. Une large part du carbone organique issu de la photosynthèse est ainsi recyclée sous forme de CO2 (respiration bactérienne). La part non respirée par les bactéries correspondant à la production bactérienne est quant à elle introduite dans la chaine trophique et transférée vers les niveaux trophiques supérieurs. Ces transformations de la matière organique par les bactéries s'opèrent sur des échelles de temps très variables, allant de quelques secondes à des milliers d'années, en fonction notamment de la nature chimique de la matière organique.


Or, de récentes avancées dans les techniques de séquençage à haut débit appliquées à l'ADN des bactéries ont permis de révéler une très grande diversité des communautés bactériennes, un litre d'eau de mer pouvant contenir quelques centaines de milliards de bactéries réparties en plusieurs centaines de taxons. Dès lors, une question se pose: cette diversité joue-t-elle aussi un rôle dans la transformation de la matière organique ?

C'est à cette question liant biodiversité et flux biogéochimiques dans les écosystèmes marins que des chercheurs du LOMIC et du LOG ont tenté de répondre en s'appuyant sur le cadre exceptionnel fourni par la campagne océanographique KEOPS2 qui s'est déroulée en 2011 au voisinage des îles Kerguelen. En effet, grâce à la fertilisation naturelle en fer des eaux océaniques de cette région de l'océan Austral, nombre d'efflorescences phytoplanctoniques aux caractéristiques bien différentes (en terme par exemple de quantité de chlorophylle produite ou de composition des espèces phytoplanctoniques) peuvent y être observées. Sept efflorescences ont ainsi pu être échantillonnées sur une période de seulement 4 semaines.


Les efflorescences phytoplanctoniques qui se sont produites au voisinage des îles Kerguelen pendant les campagnes océanographiques KEOPS1 et KEOPS2, illustrées par les concentrations en chlorophylle de surface issues des images satellitaires. Les points blancs indiquent les différents sites d'échantillonnage.

Ces échantillons, ainsi que ceux provenant de deux efflorescences échantillonnées pendant la campagne KEOPS1 en 2005 ont été analysés en utilisant deux approches originales. Dans une première approche, deux paramètres biogéochimiques (concentration en matière organique et production bactérienne) ont été systématiquement mesurés et l'ADN bactérien collecté pour en décrire la diversité par séquençage à haut débit. Il s'est alors avéré que les différentes efflorescences étaient associées à des communautés bactériennes distinctes et diversifiées. De plus, en comparant les sites d'échantillonnage où se produisent des efflorescences différentes, en terme de biomasse phytoplanctonique et de diversité phytoplanctonique, à un site sans efflorescence (site de référence), les chercheurs ont pu établir une relation quantitative entre flux biogéochimique et composition de la communauté bactérienne: plus la communauté des sites avec efflorescence comportait de taxons différents par rapport au site de référence, plus la production bactérienne était élevée. Ces deux résultats suggéraient un lien étroit entre les caractéristiques chimiques de la matière organique produite par le phytoplancton et les capacités métaboliques des bactéries associées.


Vue générale du dispositif de culture en chemostat installé dans un laboratoire thermostaté à 4°C du Marion Dufresne. © LOMIC/OOB, Ingrid Obernosterer
Pour confirmer cette hypothèse, les chercheurs ont mis en oeuvre une deuxième approche à l'aide d'un outil expérimental très rarement utilisé sur des navires océanographiques: des cultures en chemostat. Ce dispositif a permis de cultiver pendant 3 semaines des communautés bactériennes issues du plateau Kerguelen, en présence ou non de la matière organique produite par une espèce de phytoplancton antarctique (Chaetoceros debilis). L'analyse de la diversité bactérienne a montré que les communautés bactériennes issues de ces deux conditions de culture étaient très différentes, reflétant soit une situation de début d'efflorescence, soit une situation de fin d'efflorescence, telles qu'observées in situ pendant les campagnes KEOPS2 et KEOPS1, respectivement.


Ces travaux montrent donc qu'à chaque source de matière organique sont associés des taxons bactériens différents, c'est-à-dire que la diversité chimique de la matière organique structure la diversité taxinomique bactérienne dans l'océan avec un effet positif sur le flux de carbone. La coexistence de taxons bactériens ayant des capacités métaboliques complémentaires pour la transformation de la matière organique met en évidence l'importance de la diversité pour le fonctionnement de l'écosystème. Cette étude focalisée sur le cycle du carbone devrait encourager des approches similaires pour les cycles d'autres éléments.

Cette recherche a été soutenue par le CNRS-INSU-LEFE-CYBER, l'ANR-10-BLAN-0614, le CNES et l'IPEV.
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