Michel - Lundi 23 Février 2009

Les isotopes du fer, nouveaux traceurs de la genèse de la Terre

Les isotopes du fer peuvent-ils servir de traceur pour élucider certains aspects de la genèse de la Terre, de la Lune et d'autres planètes telluriques, dont Mars, notamment, qui présentent toutes les trois un fer de caractéristiques différentes?

Pour répondre à cette question, des chercheurs du Laboratoire d'étude des Mécanismes de Transfert en Géologie (CNRS-INSU, Université de Toulouse), du Laboratoire de Structure et Propriétés de l'Etat Solide, (CNRS, Université de Lille), de l'Institution Carnegie à Washington et de l'Université Macquarie à Sydney ont analysé les compositions isotopiques du fer de phases métalliques et silicatées synthétisées à l'équilibre dans des conditions de haute pression et haute température, reproduisant celles de l'océan de magma qui aurait précédé l'apparition du noyau terrestre.

Dans les conditions de leurs expériences, on n'observe pas de fractionnement isotopique lié à l'apparition de deux phases métal et silicate. Ceci implique que les différences observées entre les planètes résultent plus de la manière dont les planètes se sont formées, que de leur différenciation.


Dispositif expérimental


L'étude de l'origine et des premières étapes de l'histoire de la Terre reste l'un des problèmes scientifiques les plus difficiles à traiter car les témoins potentiels de ces événements ont été majoritairement effacés par les 4,5 milliards d'années d'histoire géologique ultérieure de notre planète. Une des questions qui fait encore débat dans la communauté scientifique est de savoir comment la Terre s'est structurée (les spécialistes disent différenciée) avec au centre un noyau où le fer natif domine, entouré d'un manteau composée essentiellement de silicates de fer et de magnésium.

Cette question est généralement abordée de manière théorique d'après la composition des météorites et par la modélisation. Les spécialistes considèrent qu'aux premiers temps de son existence, la Terre a connu un stade d'océan de magma (silicates en fusion) à partir duquel le fer métallique s'est isolé et a migré vers le centre de la planète pour s'y concentrer et former le noyau.

Depuis le début de cette décennie, la possibilité de mesurer précisément la composition isotopique du fer dans les matériaux naturels a ouvert une voie de recherche nouvelle en la matière. En effet, l'état d'oxydation du fer (son état natif, ferreux Fe++ vert, ou ferrique Fe +++ rouille) est l'un des principaux facteurs de fractionnement de ses cinq isotopes stables (fer 54, 56, 57, 58). Comme le fer est présent sous forme métallique dans le noyau (oxydation 0) et qu'il est très majoritairement à l'état divalent (Fe ++) dans le manteau des planètes telluriques sous forme de silicates, on pouvait s'attendre à ce que sa composition isotopique soit très contrastée entre ces deux réservoirs planétaires majeurs, noyau et manteau, si l'effet de la température ne minimise pas trop le fractionnement des isotopes stables du fer.


Pour étudier cette question, les chercheurs ont réalisé à l'institution Carnegie de Washington et à l'Université Macquarie de Sydney des expériences visant à reproduire l'équilibre entre métal et silicate fondu à des conditions représentatives de l'océan magmatique primitif terrestre, considéré comme le dernier lieu d'équilibration avant la ségrégation noyau-manteau. Pour cela les auteurs ont porté à haute pression (1 à 7,7 giga pascals) et haute température (1750 à 2000°C) un mélange correspondant à la composition supposée de l'océan de magma. L'équilibre entre métal et silicate a été atteint à 2000°C. Les mesures isotopiques réalisées ensuite au LMTG à Toulouse sur chacune de ces phases montrent qu'il n'y a pas de fractionnement isotopique décelable dans les conditions de ces expériences.

Produits d'expériences d'équilibration entre un silicate et un métal fondu à 2000°C et 3,5GPa,
vus au microscope électronique à balayage (à gauche). Les compositions isotopiques en fer
de ces produits s'alignent sur une droite de pente 1 et d'origine 0 (à droite).
Ceci démontre l'absence de fractionnement isotopique du fer entre les matériaux
qui produiront le noyau et le manteau de la terre aux conditions expérimentales étudiées
qui correspondent à un océan magmatique primitif.

Ceci tend tout d'abord à montrer que la différenciation en manteau et noyau ne doit pas s'accompagner de fractionnement isotopique et confirme des conclusions antérieures basées sur l'étude de météorites. Par ailleurs, en ce qui concerne les différences de compositions isotopiques connues entre les planètes telluriques, la Lune étant plus "lourde" que la Terre, elle même plus "lourde" que Mars, ces résultats tendent à montrer que ces différences sont plus à imputer aux mécanismes différents de formation de ces planètes (impact interplanétaire ayant donné naissance à la Lune dans le cas de la Terre, contre une croissance par accrétion d'astéroïdes uniquement dans le cas de Mars par exemple), plutôt qu'à des processus de différenciation planétaire majeurs, comme la séparation du noyau et du manteau proposés par certains auteurs.

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