Les fourmis sont connues pour leurs sociétés hiérarchisées et leur reproduction bien codifiée. Pourtant, une découverte récente montre qu'une espèce européenne bouleverse totalement ces règles établies.
Des chercheurs ont mis en lumière une stratégie unique chez les fourmis moissonneuses ibériques (
Messor ibericus). Les reines seraient capables de donner naissance non seulement à leur propre espèce, mais aussi à des individus d'une espèce différente pourtant absente (sans reine) dans la région,
Messor structor. Publiée dans la revue
Nature, cette recherche éclaire une forme de reproduction encore jamais observée dans le règne animal.
(a) Reine de M. ibericus.
(b) Ouvrières de M. ibericus (hybrides ibericus x structor).
(c) Mâle de M. ibericus.
(d) Mâle de M. structor (clonal).
(e) Mâle de M. structor (type sauvage).
Une stratégie de reproduction inédite
Les biologistes ont étudié plus de 120 colonies à travers l'Europe et ont constaté un phénomène déroutant: une reine unique peut produire des mâles appartenant à deux espèces distinctes. Les individus se différencient par leur pilosité, critère classique de distinction chez ces fourmis.
Certaines œufs conservent le patrimoine génétique de
Messor ibericus et peuvent donner des reines, tandis que d'autres effacent l'ADN maternel et développent uniquement celui du mâle d'une autre espèce. Ces derniers sont de véritables clones génétiques.
Ainsi, la colonie se compose presque entièrement de travailleuses hybrides, fruits de l'union entre la reine ibérique et ces mâles clonés. Ce système assure la survie du groupe, même isolé de toute population de
Messor structor.
Une énigme évolutive éclaircie
Les deux espèces étudiées ont divergé il y a environ cinq millions d'années. Malgré cette séparation, elles ont longtemps cohabité dans certaines régions européennes. À un moment de leur histoire, les reines ibériques ont perdu la capacité de produire leurs propres ouvrières.
Cette perte les a rendues dépendantes des mâles
Messor structor. Les scientifiques avancent qu'un gène "égoïste" aurait biaisé le développement larvaire, orientant la reproduction vers de futures reines plutôt que des ouvrières. Pour compenser, les reines auraient adopté le recours à des partenaires étrangers.
Au fil du temps, elles ont acquis une maîtrise totale de ce processus, clonant directement les mâles nécessaires à l'intérieur même de leurs colonies. Cette "domestication" du sperme d'une autre espèce constitue un cas inédit de reproduction appelée xénoparie.