Il y a 400 ans, le 9 mars 1611, l'étudiant allemand Johannes Fabricius commença à diriger des lunettes vers le Soleil. Il n'est alors pas le premier à s'apercevoir de la présence de taches sombres sur l'astre du jour. Mais sa publication est bien la première à démontrer l'appartenance des marques à la surface de notre étoile. Fabricius initie ainsi la discussion sur la nature de "ces taches importunes qui troublent le ciel, et plus encore la philosophie", selon l'Italien Galilée. La vision traditionnelle d'un Univers statique est dépassée...
Les taches solaires
Les taches solaires, régions sombres localisées sur le Soleil, sont des régions de fort champ magnétique. A l'Observatoire de Paris, site de Meudon, le Soleil est surveillé tous les jours. Le cliché ci-dessous montre le déplacement des taches solaires pendant la rotation de notre étoile.
Groupe de taches solaires observé pendant plusieurs jours successifs à l'Observatoire de Meudon.
Les taches solaires sont connues depuis des millénaires. Des documents asiatiques et européens en attestent. Au début du XVIIe siècle, Thomas Harriot (Londres), Johannes Fabricius (Osteel, Allemagne du Nord), Christoph Scheiner (Ingolstadt) et Galilée (Florence) exploitent les premières lunettes afin de les observer. Harriot fût le premier. Mais il n'a pas laissé de publication.
Johannes Fabricius
En 1611, Johannes Fabricius (1587-1617), fils du pasteur et astronome David Fabricius, étudie à Leyde (Pays-Bas). Il semble y avoir pris connaissance de la lunette, et revient avec plusieurs exemplaires à Osteel (Frise Orientale, Allemagne) chez son père. Date précise de ses premières observations du Soleil: le 9 mars 1611. Johannes publiera ses découvertes à l'automne, à Wittenberg, en latin (
version numérisée). Une traduction partielle en Anglais est assurée par W.M.Mitchell, The History of the Discovery of the solar spots (
Popular Astronomy 1916).
Le récit est vivant: Fabricius dirige sa lunette vers le Soleil levant, aperçoit une tache sombre, regarde de nouveau, fait une série d'observations avec des lunettes de tailles différentes. Il voit toujours la tache. Il appelle son père, qui confirme. La tache est bien là. Ce n'est pas un nuage! Mais est-elle bien "solaire"? Si oui, on devrait la revoir le lendemain. Attente, impatience, nouvelle observation... la tache est encore là, un peu déplacée! Fabricius finira par préférer une méthode de projection à l'observation directe dont il sent les lésions sur ses yeux.
Puis, découverte d'autres taches, toutes se mouvant au fil des jours vers le bord ouest du Soleil. Vont-elles réapparaître au bord est? Oui, après une dizaine de jours. Fabricius note que les taches se déplacent plus rapidement près du centre du disque solaire que près du bord. La conclusion: le Soleil effectue une rotation autour de son axe, les taches sont bien sur la surface du Soleil.
Univers inaltérable ?
Taches magnétiques à la surface du Soleil Fabricius a été "oublié" dans la grande discussion qui a suivi sur la nature des taches. Galilée et Scheiner se sont disputés bruyamment la priorité de la découverte. L'importance des taches solaires réside dans leur signification pour la compréhension de l'Univers. Pour cela, il s'agit ici de démontrer qu'elles font partie intégrante du Soleil. Fabricius est le premier à avoir réussi. Scheiner, en revanche, défend d'abord l'idée qu'il s'agit de corps opaques tournant autour du Soleil - les taches ne seraient que les ombres projetées. Puis, Galilée découvre un fait nouveau: certaines taches apparaissent, d'autres disparaissent sur l'astre du jour... Notre étoile est donc changeante, loin de la vision statique de l'Univers préconisée par l'astronomie traditionnelle.
Avec la découverte des supernovae par Brahe et Kepler, celle de la variabilité de l'étoile Mira Ceti par David Fabricius, la redécouverte des taches solaires et leur observation à la lunette sonne le glas de l'Univers inaltérable d'Aristote. Ce sera un argument majeur pour la rupture de pensée qu'on assimile à la "révolution copernicienne". Quant à la physique des taches et de l'activité solaire, elle continue de défier notre compréhension moderne. Il y a 400 ans, à Osteel, Johannes Fabricius fut l'un des pionniers de ces interrogations.