La chiralité est la propriété qu'ont certaines molécules de pouvoir adopter deux configurations spatiales, images l'une de l'autre dans un miroir. Si la nature synthétise des molécules chirales comme les sucres ou les acides aminés de façon parfaitement sélective, la chimie de synthèse peine quant à elle à sélectionner une des deux formes, gauche ou droite, d'une molécule chirale. Sélection pourtant essentielle pour bon nombres d'applications, thérapeutiques entre autres. Des physiciens et chimistes viennent de montrer comment des simples mesures de conductivité électrique sous champs magnétiques avec un courant alternatif permettent de distinguer ces deux formes. Et si la vie à ses origines avait eu recours à cet outil de sélection ? Des résultats à retrouver dans la revue
Nature Communications.
Beaucoup d'objets peuvent exister sous deux formes, appelées énantiomères, images l'une de l'autre dans un miroir. Ce phénomène, qui implique une brisure de symétrie du système, s'appelle la chiralité, du grec
kheir = main, car nos mains ont la même caractéristique. Ceci est particulièrement fréquent pour des molécules. De façon intéressante, le monde vivant n'utilise généralement qu'un seul énantiomère des molécules chirales: tous les acides aminés formant les protéines sont lévogyres (forme gauche), alors que tous les sucres de l'ADN sont dextrogyres (forme droite). L'origine de cette sélection, baptisée homochiralité de la vie, est inconnue à ce jour et son explication, qui est étroitement liée à l'origine de la vie, continue d'intriguer les scientifiques.
Il est connu que l'application d'un champ magnétique permet sous certaines conditions de discriminer entre les deux formes d'un matériau chiral à travers un effet appelé “l'anisotropie magnéto-chirale”. D'abord découvert dans des propriétés optiques d'isolants chiraux, cet effet a ensuite été démontré dans les propriétés électriques des métaux et des semi-conducteurs chiraux.
A présent, des physiciens du Laboratoire national des champs magnétiques intenses (CNRS, Toulouse & Grenoble) et des chimistes du laboratoire Moltech-Anjou (CNRS/Université d'Angers) ont découvert que, dans des ferroélectriques chiraux et isolants, on peut discriminer les deux formes énantiomères via des mesures simples de conductivité électrique sous champs magnétique avec un courant alternatif. Ces résultats ouvrent la possibilité d'utiliser à terme ce type d'effet pour caractériser la composition énantiomérique d'une solution ou d'un solide, un enjeu majeur dans l'industrie pharmaceutique. Tandis que cette découverte a été faite sur des systèmes organiques qui n'ont pas de rapport direct avec le monde vivant et que l'intensité observée de l'effet est modeste, de loin insuffisante pour expliquer l'homochiralité du vivant à 100 %, elle peut cependant donner un nouveau souffle à l'hypothèse que la vie aurait commencé dans un champ magnétique. Cette étude est parue dans la revue
Nature Communications.
Référence:
Dielectric magnetochiral anisotropy
Geert L. J. A. Rikken et Narcis Avarvari,
Nature Communications juin 2022.
DOI:
10.1038/s41467-022-31225-3
Contacts:
- Geert Rikken - Chercheur au Laboratoire national des champs magnétiques intenses (CNRS) - geert.rikken at lncmi.cnrs.fr
- Narcis Avarvari - Chercheur à l'Institut des sciences et technologies moléculaires d'Angers (MOLTECH ANJOU, CNRS/Université d'Angers) - Narcis.Avarvari at univ-angers.fr
- Stéphanie Younès - Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS - inc.communication at cnrs.fr
- Anne-Valérie Ruzette - Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS - anne-valerie.ruzette at cnrs.fr
- Christophe Cartier dit Moulin - Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC