Michel - Vendredi 25 Février 2005

Homards bleus et physique quantique

Personne n'a jamais su exactement pourquoi le homard change de couleur quand on le fait cuire... jusqu'ici. La réponse est venue d'une équipe de chercheurs hollandais qui ont démontré que cette transformation culinaire remarquable a une explication subtile enracinée dans la théorie quantique.


La cuisson du homard libère ses pigments rouges

Les chimistes savent que la couleur du homard est due à l'astaxantine, molécule liée à une protéine appelée crustacyanine. L'astaxantine est un pigment de la famille des caroténoïdes responsable des couleurs rouges et brillantes de beaucoup d'animaux et de plantes, comme les oranges, les tomates et les plumes de certains oiseaux.

Quand un homard est ébouillanté, les protéines de crustacyanine sont déroulées par la chaleur et le colorant d'astaxantine s'en détache. Cet astaxantine 'libre' est rouge, comme la plupart des autres caroténoïdes, et donne au homard sa couleur. Cependant les chimistes sont toujours restés perplexes quant à savoir pourquoi les homards vivants possèdent une couleur bleue foncée.

Francesco Buda de l'Université de Leyde aux Pays Bas et ses collègues ont récemment établi ce qui arrive à l'astaxantine quand elle est imbriquée dans la molécule de crustacyanine pour changer ainsi sa couleur. Le résultat de leurs recherches est paru dans le Journal of the American Chemical Society.

Décalage vers le rouge


Les colorants rouges absorbent la lumière bleue et verte et réfléchissent la partie rouge du spectre. Quand l'astaxantine est incorporée dans la crustacyanine, cette absorption est décalée à travers le spectre vers les longueurs d'onde plus longues (plus rouges). Cela signifie qu'elle absorbe alors toute la lumière visible et que le colorant semble donc noir.

C'est un phénomène similaire qui se produit pour les différentes sensibilités à la couleur des cônes de nos yeux, cellules absorbant la lumière. Dans celles-ci, une molécule unique de pigment est "accordée" sur différentes longueurs d'onde par une couche de protéines.

Une théorie, discutée depuis de nombreuses années, est que l'échafaudage moléculaire de la molécule de crustacyanine déforme la structure de l'astaxantine, lui permettant ainsi d'absorber la lumière à travers le spectre. Ce serait comme changer la fréquence de résonance d'une corde de piano en l'allongeant ou en la raccourcissant.

Mais Buda et ses collègues ont calculé les états d'énergie quantique du colorant, et ont montré qu'une modification de forme ne provoquerait qu'un tiers du décalage du spectre d'absorption. Ce seul phénomène ne suffirait pas à faire virer le pigment du rouge au noir.

Une autre théorie serait que le colorant devient électriquement chargé à l'intérieur de la protéine. Mais l'équipe hollandaise, par des expériences utilisant une technique appelée la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, a éliminé cette hypothèse.


Couleurs noires bleutées du homard vivant


Des interférences obscures


Au lieu de cela, l'équipe s'est basée sur une découverte en 2002 selon laquelle les molécules d'astaxantine sont groupées par paires en forme de X dans les protéines de crustacyanine.

Les calculs des chercheurs ont prouvé que cet appariement signifie que les deux molécules interfèrent entre elles, comme interféreraient les signaux de fils électriques voisins, et que ceci décale leurs états d'énergie quantique. Ce décalage modifie à son tour la longueur d'onde de la lumière qu'elles absorbent, expliquant ainsi la majeure partie de la couleur noire.

"Il est étonnant que cela ait pris autant de temps pour résoudre ce problème," indique Buda. Mais il admet qu'il n'y a que cinq à dix ans que les ordinateurs sont capables d'effectuer les calculs complexes de mécanique quantique que cela implique.

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