Adrien - Mercredi 23 Décembre 2015

Greffe: quand le rejet vient de soi


Dre Marie-Josée Hébert et Mélanie Dieudé. Photo: CRCHUM.
Des chercheurs canadiens ont identifié une nouvelle structure cellulaire responsable des rejets jusqu'alors inexpliqués après une greffe d'organe. Cette découverte pourrait un jour révolutionner la pratique en transplantation, en modifiant l'évaluation des risques de rejet chez les personnes qui reçoivent une greffe de coeur, de poumon, de rein ou de foie.

"Nous avons trouvé le mécanisme qui fait en sorte qu'une personne réagit contre des composantes de ses propres vaisseaux sanguins avant même de recevoir une greffe d'organe et nous avons identifié un médicament capable de prévenir ce type de rejet", résume la Dre Marie-Josée Hébert, transplantologue et chercheuse au Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CRCHUM). Le rejet de la greffe est un risque des transplantations. Ce phénomène résulte habituellement de la réaction du système immunitaire du receveur vis-à-vis du greffon, considéré comme un intrus. Les antigènes HLA (Human Leucocyte Antigen), présents à la surface de toutes les cellules, constituent une sorte de "carte d'identité" unique à chaque personne. Lors d'une greffe, les médecins tentent d'éviter les rejets en s'assurant que le donneur et le receveur sont compatibles pour les groupes sanguins et les antigènes HLA. Malgré toutes ces précautions, 1 greffe sur 10 donne lieu à un rejet.


Pour percer ce mystère, les chercheurs se sont intéressés aux vaisseaux sanguins, un élément important lors des transplantations. Lorsque les vaisseaux sont endommagés, les rejets sont plus difficiles à traiter. "Nous avons découvert que les vaisseaux sanguins endommagés relâchent des bouts de cellules bien particuliers : il s'agit de petites vésicules membranaires qui mettent le système immunitaire en alerte. Si on fait une greffe par la suite, le système immunitaire va tout de suite s'attaquer au greffon", explique Mélanie Dieudé, chercheuse au CRCHUM et première auteure de l'étude parue aujourd'hui dans Science Translational Medicine.

Ces toutes petites vésicules proviennent de cellules en train de mourir. Elles génèrent des autoanticorps. "En plus de la réaction du système immunitaire contre les antigènes HLA, il y a étonnamment des réactions du système immunitaire contre des composantes de nos propres cellules. Le rejet, ce n'est donc pas simplement une réaction contre une autre personne, c'est aussi une réaction contre des éléments qui nous appartiennent", souligne la Dre Hébert, également professeure à l'Université de Montréal et codirectrice du Programme national de recherche en transplantation du Canada.

L'équipe de la Dre Hébert a trouvé une façon de neutraliser le moteur enzymatique de ces petites vésicules, le protéasome, grâce à un médicament actuellement utilisé pour traiter certains cancers de la moelle osseuse, le bortézomib. Ce médicament agit en bloquant l'activité enzymatique des vésicules, ce qui a pour effet de rendre notre système immunitaire sourd aux alertes. Les résultats sur des cellules en culture et chez l'animal sont prometteurs et une étude clinique chez l'humain est en cours. "Si un receveur a déjà réagi à ces petites vésicules et qu'il reçoit un organe en train d'en relâcher également, c'est probablement une situation très dangereuse. C'est ce que nous sommes en train de vérifier", explique la Dre Hébert.


Depuis la première greffe d'organe en 1954 par le Dr Joseph Murray à Boston, les transplantations se sont améliorées. La recherche de compatibilité des groupes sanguins et des antigènes HLA avant une transplantation et la mise au point de médicaments pour contrer les rejets comme les corticoïdes, les rayons X et les traitements immunosuppresseurs ont permis de pratiquer des transplantations qui ont sauvé des vies. Cette dernière découverte pourrait en sauver davantage. "Il est encore trop tôt pour penser à changer les directives cliniques. Mais je pense que cela pourrait un jour modifier la manière dont on alloue les organes lors des transplantations. Les receveurs et les organes pourraient aussi être traités avant l'opération afin de les rendre plus silencieux à ces signaux d'alerte qui viennent de nous-mêmes", conclut Marie-Josée Hébert.
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