La séquence révèle les différences génétiques entre les hommes de Neandertal et les hommes modernes et suggère des croisements entre eux. Une équipe internationale de chercheurs a séquencé le génome de l'homme de Néandertal à partir de trois petits fragments d'os en poudre trouvés dans une grotte en Croatie. Leurs résultats paraissent dans le numéro du 7 mai de la revue
Science, publiée par l'AAAS, société scientifique à but non lucratif.
Les chercheurs, menés par Svante Pääbo de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste à Leipzig en Allemagne, ont comparé le génome de Néandertal avec celui de cinq humains actuels de différentes parties du monde. Il en ressort que divers gènes sont uniques à l'homme, dont une poignée qui se sont rapidement disséminés dans notre espèce après la séparation d'avec l'homme de Néandertal à partir d'un ancêtre commun. Ces découvertes réduisent ainsi la liste des régions et des gènes qui peuvent être déterminants pour faire notre identité humaine.
Échantillons sur lesquels l'ADN a été prélevé et sites de fouilles.
(A) Les trois os de Vindija dont l'ADN de Neandertal a été séquencé.
(B) Carte montrant les quatre emplacements archéologiques et leurs dates approximatives.
Les scientifiques ont aussi trouvé que les hommes modernes et de Néandertal se sont probablement croisés entre eux, dans une faible mesure, probablement lorsqu'ils se sont rencontrés dans le Moyen-Orient.
"Nous nous posons tellement de questions à propos de l'homme de Néandertal, dont la moindre n'est pas dans quelle mesure nous ressemblait-il ? Son génome promet d'être une source importante d'informations sur les événements qui ont conduit au cours de l'évolution aux hommes modernes et de Néandertal commente Andrew Sugden, rédacteur adjoint et pour la rubrique internationale."
L'homme de Neandertal est notre plus proche parent du point de vue évolutif. Il est apparu il y a environ 400 000 ans, a peuplé l'Europe jusqu'à l'ouest de l'Asie, puis disparu il y a 30 000 ans environ.
La première ébauche de séquence du génome néandertalien rapportée dans
Science représente environ 60 pour cent de l'ensemble. Le matériel génétique séquencé provient de trois os issus de trois néandertaliens.
Le séquençage a comporté de multiples étapes liées aux problèmes posés par l'utilisation d'un ADN ancien. Les chercheurs ont retiré aussi peu de matière que possible des os et se sont servis d'une fine roulette de dentiste pour ne pas endommager les fossiles. Puis ils ont effectué leurs recherches en chambre stérile pour éviter toute contamination de leur échantillon par de l'ADN issu d'humains actuels ou d'autres organismes. Ils ont aussi enlevé les quantités nettement plus abondantes d'ADN de microbes qui avaient colonisé les os depuis la mort des individus.
Les hommes modernes et de Néandertal sont si proches qu'une comparaison de leurs génomes doit tenir compte du fait que le génome d'un homme moderne en particulier peut s'avérer plus similaire à celui d'un individu néandertalien qu'à un autre homme moderne.
Ce que nous savons des variations génétiques entre les hommes vient pour l'instant essentiellement de l'étude de populations européennes. Pour avoir un panel plus large, Pääbo et ses collègues ont séquencé les génomes de cinq humains actuels du sud de l'Afrique, d'Afrique de l'Ouest, de Papouasie-Nouvelle Guinée, de Chine et de France puis les ont comparés avec le génome néandertalien.
Le génome néandertalien apparaît légèrement plus semblable à celui des non-Africains. Ce qui veut dire que pour tout point du génome pris au hasard là où les séquences modernes diffèrent, il y avait légèrement plus de chances que le génome néandertalien corresponde à celui d'un non-Africain plutôt que d'un Africain.
Bien que plusieurs explications soient possibles, la plus simple est que les premiers hommes modernes ont dû se croiser avec les néandertaliens au Moyen-Orient après leur départ d'Afrique et avant leur dispersion dans l'Eurasie.
Les auteurs estiment qu'environ 1 à 4 pour cent du génome des hommes actuels pourraient provenir des néandertaliens. Les modèles de population ont indiqué que lorsqu'une population arrive dans une autre, même un faible taux de croisement peut largement se répercuter dans le génome de ses membres si cette population connaît ensuite une forte expansion. Le faible pourcentage d'ADN néandertalien retrouvé dans le génome de l'homme moderne suggère ainsi que les croisements ont été assez limités.
La comparaison entre les deux génomes a aussi fourni beaucoup d'autres résultats qui pourraient finalement être plus importants que la découverte d'un apport néandertalien pour une meilleure compréhension de nous-mêmes.
"C'est super de penser que certains d'entre nous possèdent un peu d'ADN néandertalien, mais pour moi, la possibilité de chercher des traces d'une sélection positive qui s'est produite peu après la séparation des deux espèces est probablement l'aspect le plus fascinant de ce projet" précise Pääbo.
Son équipe a conçu une méthode pour repérer les régions dans le génome des hommes modernes où de nouveaux gènes se sont propagés dans leur population depuis la divergence avec les Néandertaliens. Ces gènes ont probablement contribué d'une manière ou d'une autre à augmenter les chances de survie ou de reproduction des premiers hommes modernes.
Les chercheurs ont passé au crible les génomes de cinq humains actuels du monde entier à la recherche de régions qui présenteraient des variations de séquence fréquentes et pas chez l'homme de Néandertal. Ils ont découvert 212 de ces régions. Parmi les 20 régions qui paraissent avoir subi la sélection positive la plus forte se trouvent trois gènes qui, lorsqu'ils sont mutés, affectent les développements cognitif et mental. Ces gènes ont été impliqués dans la trisomie 21, la schizophrénie et l'autisme.
Dans les autres régions se trouvent aussi un gène intervenant dans le métabolisme énergétique et un autre qui agit sur le développement du crâne, de la clavicule et de la cage thoracique.
Les chercheurs ont aussi utilisé le génome néandertalien pour produire la première version d'un catalogue des caractéristiques génétiques présentes chez tous les hommes actuels mais pas chez ceux de Néandertal ou chez les grands singes. Ce catalogue présentera un intérêt pour les scientifiques qui étudient ce qui sépare l'homme des autres organismes.
Dans un article également publié dans ce numéro de Science, une autre équipe de recherche comprenant beaucoup des mêmes chercheurs et aussi dirigée par Pääbo décrit une nouvelle technique pour séquencer des régions spécifiques du génome néandertalien à partir de matériaux particulièrement dégradés. Utilisant une "capture de séquence cible", les chercheurs se sont focalisés sur les régions codant pour des protéines existant dans le génome d'un autre homme de Néandertal en Espagne. Ils ont identifié 88 substitutions d'acides aminés qui se sont fixées chez l'homme actuel après sa divergence des Néandertaliens. D'autres travaux seront nécessaires pour déterminer dans quelle mesure ces changements ont pu affecter la biologie humaine.
Une présentation en ligne du génome néandertalien avec des entretiens en vidéo, des explications et des images sont disponibles sur http://www.sciencemag.org .