Une équipe du Département d'Astrophysique (DAp) a publié une analyse combinant des observations d'un filament interstellaire avec le télescope spatial James Webb (JWST) et le radiotélescope APEX, situé au Chili.
Ces observations permettent de mesurer précisément, pour la première fois, la largeur d'un filament interstellaire, lieu de la formation d'étoiles, au delà de la ceinture de Gould, et de confirmer l'existence d'une échelle caractéristique de ≈0,1 pc. Ce résultat permet de mieux appréhender la raison pour laquelle les étoiles ne se forment pas avec une masse arbitraire.
a) Carte de densité de colonne du nuage massif de formation d'étoiles NGC6334 à une résolution de 8” produite à partir des données combinées ArTéMiS et Herschel dans le cadre du programme CAFFEINE.
b)
Image JWST/MIRI d'une partie du champ montré en a), révélant la structure fine du filament NGC6334M à une résolution de 0,26” en absorption à 7,7 microns.
c) Carte de densité de colonne à haute résolution (0,26”) déduite des données d'absorption JWST/MIRI dans le panneau b).
Cette étude a été publiée dans la revue
Astrophysical Journal Letters.
La compréhension de la croissance complexe des structures conduisant à la formation d'étoiles dans le Milieu InterStellaire (MIS) froid des galaxies est une question centrale de l'astrophysique. Au moins au premier ordre, la structure des nuages interstellaires froids est observée comme étant sans échelle ou auto-similaire, dans le sens où toutes les images de nuages moléculaires tendent à être statistiquement similaires, indépendamment de la résolution spatiale à laquelle elles sont obtenues.
Cette auto-similarité est souvent attribuée à l'effet de la turbulence supersonique qui façonne la structure des nuages moléculaires. Une question fondamentale ouverte est donc de comprendre comment les étoiles, qui sont des corps de taille finie, peuvent émerger d'un MIS sans échelle, avec une distribution des masses à la naissance (appelée Fonction de Masse Initiale ; ou IMF en anglais) présentant un large pic autour de 0,3 M
soleil, juste en dessous de la masse de notre propre Soleil.
Les observations submillimétriques des nuages moléculaires proches effectuées par l'observatoire spatial
Herschel ont fourni des indices importants sur cette question, en montrant que la plupart des étoiles naissent dans des filaments denses de gaz froid à une température d'environ 10 K.
Au moins dans le voisinage du soleil, les observations de
Herschel indiquent que les filaments de formation d'étoiles ont tous à peu près la même largeur, proche d'environ 0,1 pc. Lorsque ces filaments atteignent un seuil critique de masse par unité de longueur d'environ 16 M
soleil/pc, ils peuvent se fragmenter et former des étoiles dont la masse caractéristique approche 0,3 M
soleil, le pic observé de l'IMF.
Cependant, le télescope
Herschel n'a pu résoudre l'échelle de ≈0,1 pc que par un facteur relativement modeste dans les nuages les plus proches et n'a pas pu sonder la structure des filaments de formation d'étoiles dans les nuages plus éloignés, au-delà de la ceinture de Gould,
i.e. le voisinage solaire. Par conséquent, la robustesse et la portée de l'explication ci-dessus pour l'origine du pic de l'IMF ont été remises en question.
a) Comparaison d'une vue rapprochée de la partie nord-ouest du panneau c de la première figure (tournée de 20 degrés dans le sens des aiguilles d'une montre pour rendre le filament principal parallèle à l'axe y) avec des simulations numériques MHD récentes de la formation et de l'évolution d'un filament massif de formation d'étoiles. Dans les observations comme dans les simulations, on note la présence d'un motif quasi-périodique de filaments latéraux (dont l'un est marqué par une flèche blanche dans le panneau de gauche), avec un espacement projeté de l'ordre de ~0,1 pc.
b) Tracé de convergence montrant la largeur mesurée en fonction de la résolution spatiale pour NGC6334M et d'autres filaments observés avec Herschel et APEX/ArTéMiS. Notez comment les largeurs mesurées convergent vers une valeur d'environ 0,1 pc lorsque cette échelle est résolue par un facteur environ 10.
Pour étudier les propriétés des filaments denses et leur rôle potentiel dans l'origine des masses stellaires au-delà des nuages proches, notre équipe a utilisé l'instrument MIRI à 7,7 et 25,5 μm sur le JWST, ainsi que la caméra
ArTéMiS sur le télescope APEX, pour imager le filament massif NGC6334M (à environ 1,3 kpc) et son voisinage à une résolution meilleure que celle d'
Herschel d'un à deux ordres de grandeur. Les filaments tels que NGC6334M sont si froids et denses qu'ils n'émettent pas de manière significative de lumière aux longueurs d'onde de l'infrarouge moyen, mais sont vus comme des silhouettes sombres par MIRI, en absorption par rapport à l'émission de fond infrarouge (
cf. figure).
Les données d'absorption du JWST ont révélé la structure fine du filament de NGC6334M avec des détails sans précédent. Une largeur médiane de filament de 0,12±0,02 pc a été mesurée aux deux longueurs d'onde MIRI, résolue par près de deux ordres de grandeur par le JWST, et cohérente avec la largeur typique de demi-puissance des filaments
Herschel dans les nuages moléculaires proches.
Les données du JWST ont également révélé la présence d'un motif quasi-périodique de filaments latéraux avec un espacement projeté similaire de 0,125±0,015 pc (
cf. panneau c de la figure). Des simulations numériques magnétohydrodynamiques récentes sont capables de reproduire cette échelle caractéristique et ce motif quasi-périodique (
cf. panneau a de la figure ci-dessous).
L'existence de cette échelle caractéristique de ≈0,1 pc démontre que les nuages moléculaires de formation d'étoiles ne sont pas strictement sans échelle et étaye la suggestion que le pic de l'IMF à ≈0,3 M
soleil pourrait être intimement lié à la structure filamentaire du MIS froid.
Référence: "Structure and Fragmentation Scale of a Massive Star-Forming Filament in NGC6334: High-Resolution Mid-Infrared Absorption Imaging with JWST" Ph. André, M. Mattern, D. Arzoumanian et al. 2025, The Astrophysical Journal Letters, in press (
DOI,
arXiv).