En mars 2006, un totem ayant appartenu à la tribu haisla de la Colombie-Britannique et se trouvant à Stockholm depuis 1929 était rapatrié au Canada après 15 ans de démarches de la part des Indiens haisla. Élise Dubuc, professeure au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l'Université de Montréal, s'apprête à prendre les commandes d'un important projet de recherche au sein duquel les autochtones travailleront sur un pied d'égalité avec les universitaires.
Les travaux, qui s'échelonneront sur cinq ans, porteront sur le rapatriement vers leur communauté autochtone d'origine d'objets culturels ou rituels disséminés dans divers musées.
Le projet est rendu possible grâce à une subvention de un million de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). "Le CRSH permet, favorise même, ce nouveau type de partenariat en encourageant la rencontre entre chercheurs universitaires et détenteurs de hauts savoirs et de compétences en dehors du domaine scolaire", se réjouit Mme Dubuc. La moitié des 22 chercheurs proviendra des communautés autochtones.
La professeure collabore depuis plus de 10 ans avec des communautés désireuses de se réapproprier leurs objets et ainsi de reprendre en main leur héritage de manière, notamment, à tisser de nouveaux liens avec leurs ainés et à encourager la transmission aux jeunes.
Or, si les musées acceptent de plus en plus de restituer des restes humains, les négociations s'avèrent plus ardues lorsqu'il s'agit d'artéfacts qui ne proviennent pas de sépultures et qui ne sont pas par définition sacrés. Et même à ce titre, la reconnaissance des valeurs autochtones peut ne pas prévaloir.
"Ce peut être le cas d'un instrument de musique, un tambour par exemple, reconnu comme sacré par les peuples à tradition nomade, ou encore d'un élément du quotidien comme un vêtement, mais qui évoque encore la présence humaine et qui pour ainsi dire demeure vivant", explique Mme Dubuc.
Par ailleurs, certains établissements muséaux tombent dans l'exagération, signale-t-elle, en prétendant que, si on laisse aller un objet, les musées centraux finiront par se vider! Le débat fait rage sur la scène internationale où, sous des apparences de discussions sur la prétendue universalité des œuvres d'art, se cachent des enjeux de luttes postcoloniales.
Un projet culturel
La professeure souligne non sans fierté que le projet de recherche est de nature culturelle, un volet souvent oublié des organismes subventionnaires. Et c'est bien là justement ce qui l'intéresse, au-delà de l'aspect légal associé à la plupart, sinon la totalité, des rapatriements d'objets.
"Il est facile, dans tous les pourparlers légaux entourant les restitutions, de passer à côté de l'aspect culturel. Or, c'est ce qui m'interpelle. L'objet devient un médiateur et il permet non seulement de renouer avec les générations du passé, les ainés retrouvant la mémoire de ces objets avec l'accès aux artéfacts trop souvent conservés loin des communautés d'origine, mais aussi aux jeunes générations de reprendre contact avec leur héritage. L'objet donne une autre prise sur le passé."
Participeront à la recherche 10 organismes autochtones, 5 universités et 4 musées canadiens et américains. La Smithsonian Institution et l'Université de la Colombie-Britannique sont partie prenante du projet, tout comme deux communautés autochtones du Québec, la communauté ilnue (montagnaise) de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, et la communauté anishinabeg (algonquine) de Kitigan Zibi, près de Maniwaki. Ensemble, ces groupes et chercheurs exploreront, comme le veut le titre officiel du projet, "de nouvelles alternatives concernant la restitution, réappropriation du patrimoine autochtone" ou, dit autrement, "Tshiue-natuapahtetau/kigibiwewidon".