Une étude menée par une collaboration franco-chilienne vient de déterminer la nature précise du son joué par des flûtes préhispaniques originaires du Chili central. Les scientifiques ont utilisé un modèle mathématique pour expliquer le mécanisme de production des
sonidos rajados joués par ces flûtes chiliennes à la forme particulière.
Flûte chilienne Catarra (en haut) constituée de deux tubes de longueurs similaires et de sections différentes; musicien jouant une flûte chilienne Puntera (en bas à gauche), son (pression acoustique) enregistré lors du jeu d'une flûte Catarra par un musicien (en bas à droite).© Patricio de la Cuadra
Toute personne ayant déjà soufflé dans une flûte à bec sait qu'il est possible de produire une grande variété de sons, dont certains sont très différents de celui recherché au départ. Les flûtistes expérimentés apprennent, au cours d'années de pratique, à contrôler l'instrument pour obtenir une note de la gamme ou des sons plus complexes, appelés multiphoniques. Ces sons multiphoniques sont utilisés dans de nombreuses cultures. Les
flautas de chinos sont des flûtes pré-hispaniques originaires du Chili central. Elles sont jouées dans des processions qui visent à remplir l'espace physique et l'espace sonore pour favoriser un état de transe. Chaque flûte produit une unique "note", c'est à dire un son multiphonique, joué particulièrement fort, et qui est appelé
sonido rajado, littéralement "son déchiré". La nature précise de ce son restait jusqu'ici une énigme.
Des chercheurs français et un chercheur chilien ont proposé un modèle mathématique écrit sous forme d'équations différentielles à retard qui a permis d'explorer et d'expliquer la nature des
sonidos rajados. Le souffle du musicien produit un jet d'air instable, qui est perturbé par une rétroaction du résonateur acoustique de l'instrument. En adaptant finement la pression dans la bouche du musicien et la forme de l'instrument, l'ensemble des sons produits par les instruments de la famille des flûtes peut être prédit théoriquement. Les résultats du modèle mathématique sont en accord avec les résultats d'expériences sur les flûtes à bec et les
flautas de chinos, et montrent que le mécanisme de production des multiphoniques et des sonidos rajados est commun. Ces travaux sont publiés dans la revue
Journal of Computational Dynamics.
Les différences essentielles expliquant l'origine des
sonidos rajados, sont doubles. D'une part, la forme spécifique des
flautas de chinos favorise fortement la production de multiphoniques à une pression dans la bouche beaucoup plus basse que pour les flûtes à bec. D'autre part, cette forme spécifique provoque un "désaccord" entre les fréquences de résonance de l'instrument qui génère un effet de battement dans le son qui se répète 15 à 20 fois par seconde.
Du fait d'un lien direct entre la géométrie de la flûte et la valeur du paramètre de désaccord, ces résultats suggèrent que la forme particulière des flûtes pré-hispaniques chiliennes puisse provenir d'une volonté des facteurs d'instruments de favoriser ces régimes multiphoniques.
Références:
Emergence of quasiperiodic regimes in a neutral delay model of flute-like instruments: Influence of the detuning between resonance frequencies.
Terrien, S., Vergez, C., Fabre, B., & de la Cuadra, P. (2022).
Journal of Computational Dynamics.
doi: 10.3934/jcd.2022011
Article bientôt disponible sur la base d'archives ouvertes HAL.
Contacts:
- Soizic Terrien - Chargée de recherche CNRS au Laboratoire d'acoustique de l'Université du Mans (LAUM, CNRS/Le Mans Université)
soizic.terrien@univ-lemans.fr
- Communication INSIS - insis.communication@cnrs.fr