Adrien - Jeudi 25 Septembre 2025

⚛️ L'expérience qui pourra percer pourquoi la matière domine l'antimatière dans l'Univers

Le Big Bang a créé des quantités égales de matière et d'antimatière. Alors, pourquoi y a-t-il beaucoup plus de matière que d'antimatière dans l'Univers ? L'Irfu participe à la préparation de d'Hyper-Kamiokande, une expérience d'oscillations de neutrinos produits par accelerateur, qui pourrait éclaircir ce mystère.

L'univers est rempli de matière, tandis que l'antimatière est très rare. La prédominance de la matière a permis à des structures complexes, comme les galaxies, les étoiles, les planètes et finalement nous, de se former et d'exister telles qu'on les observe aujourd'hui. Le Big Bang a créé la même quantité de matière et d'antimatière: chaque particule aurait donc dû s'annihiler avec une antiparticule correspondante pour remplir l'Univers de lumière (photons) et de rien d'autre.


Figure 1: La symétrie entre les oscillations des neutrinos et des antineutrinos est-elle brisée ?
Crédit: APS/Carin Cain


Une petite asymétrie entre la matière et l'antimatière est nécessaire pour éviter cette fin catastrophique. Une particule très énigmatique, le neutrino, pourrait détenir la clé de ce mystère.

Le neutrino est la particule la moins connue du modèle standard. L'une des rares choses que nous savons à son sujet est que les neutrinos doivent exister sous la forme d'au moins trois saveurs (électron, muon et tau) et que ces états "oscillent" lorsque les neutrinos se propagent dans l'espace et le temps. Plus précisément, les neutrinos sont créés dans les interactions des autres particules du modèle standard dans un état de saveur défini, mais ils se propagent dans des états de masse définis, qui correspondent à des combinaisons linéaires (superpositions quantiques) d'états de saveur.

Par conséquent, un neutrino d'énergie donnée créé dans un état de saveur donné a une probabilité bien définie d'être détecté dans un état de saveur différent après avoir parcouru une distance donnée. Ce phénomène n'est possible que si les neutrinos sont des particules massives, contrairement à ce que prévoit le modèle standard.

De manière très intéressante, ce phénomène ouvre la possibilité à une nouvelle source d'asymétrie matière-antimatière dans l'Univers: si les neutrinos et les antineutrinos (leurs antiparticules) oscillent différemment, ils pourraient avoir joué un rôle crucial dans le mécanisme à l'origine de la forte prédominance de la matière dans l'Univers.

De T2K à Hyper-Kamiokande


Les oscillations de neutrinos ont été découvertes à la fin des années 90 et récompensées par le prix Nobel de physique en 2015. Depuis lors, les oscillations ont été étudiées dans le cadre de diverses expériences, exploitant notamment les neutrinos produits par les rayons cosmiques, le Soleil, les réacteurs nucléaires et les accélérateurs de particules. Ces dernières, , ont la capacité unique de produire un faisceau de neutrinos ou d'antineutrinos de saveur et d'énergie optimisées dans la direction souhaitée.


Figure 2: Vue schématique du détecteur lointain Hyper-Kamiokande en construction au Japon.
Crédit: Hyper-K collaboration


Un ensemble de détecteurs, placés à proximité de la source de neutrinos, est utilisé pour caractériser la quantité de neutrinos produits et leur probabilité d'interagir avec la matière. Un grand détecteur "lointain" intercepte les neutrinos à des centaines de kilomètres de la source pour mesurer la probabilité d'oscillation d'une saveur à l'autre. Cette approche est aujourd'hui exploitée par l'expérience Tokai To Kamioka (T2K), au Japon, à laquelle l'Irfu apporte des contributions cruciales.

T2K fonctionnera jusqu'en 2027, date à laquelle son successeur, HyperKamiokande (HK), prendra le relais. HK disposera d'un faisceau de neutrinos plus de deux fois plus intense et d'un détecteur lointain plus de huit fois plus grand que celui de T2K. HK héritera du détecteur proche de T2K (ND280), récemment amélioré.

Grâce à l'augmentation considérable de la statistique de neutrinos produits et détectés, HK sera en mesure de découvrir l'asymétrie possible entre l'oscillation des neutrinos et des antineutrinos, et d'apporter de nouvelles réponses au grand mystère de l'asymétrie matière-antimatière dans l'Univers.

Hyper-Kamiokande@Irfu


L'Irfu est à la pointe de cet effort expérimental majeur et a déjà joué un rôle de premier plan dans la refonte du détecteur ND280. L'institut contribue à présent à la construction du nouveau détecteur lointain de HK. Les grands défis pour ce nouveau détecteur sont liés à sa taille: une cuve cylindrique de 72 m de hauteur et 68 m de diamètre contenant 260 kilotonnes d'eau (voir figure 2), où la lumière Cherenkov produite par les particules chargées issues des interactions de neutrinos sera collectée par environ 13 000 tubes photomultiplicateurs (PMT). Les signaux des PMT seront lus par plus d'un millier de cartes électroniques.


Figure 3: prototype du module électronique développé à l'Irfu pour le premier étage de la distribution de l'horloge du détecteur lointain de HK. Le module comporte 32 ports optiques et a été optimisé pour une latence déterministe à faible instabilité (quelques picosecondes).


Afin de permettre des mesures précises des oscillations, toutes les unités de lecture de ce gigantesque détecteur doivent être correctement synchronisées dans le temps et inter-étalonnées en énergie pour garantir l'uniformité de leur réponse. L'Irfu est au coeur de ces défis et développe notamment un nouveau module électronique pour le système de distribution de l'horloge aux milliers d'unités de lecture. L'Irfu soutient également, par l'intermédiaire de son antenne au CERN, le développement du banc d'essai qui servira à calibrer précisément les unités électroniques de lecture et a s'assurer qu'elles satisfont les specifications.

Pour mesurer le défi technologique auquel nous sommes confrontés, mentionnons que nous devons assurer une précision dans l'échelle d'énergie des neutrinos de l'ordre de 0,5 %, ce qui induit une exigence de 0,1 % sur l'étalonnage de la linéarité de charge des cartes électroniques de lecture.

De plus, afin d'assurer une résolution spatiale meilleure que 15 cm pour des trajets de lumiere Cherencov de 100 mètres, un système de distribution capable d'envoyer une horloge avec une stabilite temporelle meilleure que 100 ps à 13 000 PMT répartis sur une surface cylindrique de plus de 15 000 mètres carrés doit être mis en place. A cette fin, une approche en plusieurs étages est mise en oeuvre et l'Irfu développe le premier étage de ce système: le nouveau module électronique illustré sur la figure 3 présente une instabilité aléatoire (déterministe) inférieure à 4ps (2ps).


Figure 4: le détecteur Hyper-Kamiokande sera placé à 600 m sous terre dans la mine de Kamioka à Hida City, Gifu, où la plus grande caverne jamais creusée par l'homme est en cours d'excavation (à gauche). Les PMT sont en cours d'approvisionnement et testés avant leur installation (à droite).

La construction du détecteur HK est en cours. Comme le montre la figure 4, l'excavation de la caverne et l'achat de PMT sont bien avancés. La phase de prise de données devrait commencer en début d'année 2028.

La sensibilité d'Hyper-Kamiokande à l'asymétrie d'oscillation entre neutrinos et antineutrinos



L'Irfu conduit également le principal effort d'analyse visant à estimer précisément la sensibilité de l'expérience HK pour les mesures d'oscillation et, notamment, pour la découverte d'une eventuelle asymmetrie entre l'oscillation des neutrinos et d'antineutrinos. (voir figure 5).

Les résultats récents de T2K indiquent une très grande asymétrie neutrino-antineutrino, auquel cas HK peut définitivement conclure à l'existence de cette asymétrie en environ 2 ans de prise de données (à 5 écarts-types). Sur la figure 5, l'impact des incertitudes systématiques sur les mesures d'oscillation est également estimé, quantifiant le rôle crucial du détecteur proche ND280 pour permettre une découverte aussi importante.

En effet, pour mesurer précisément les oscillations de neutrinos, il faut modéliser correctement la probabilité d'interaction des neutrinos avec la matière dans le détecteur. L'Irfu a largement participé au développement de modèles de physique nucléaire pour les interactions de neutrinos et est un contributeur majeur à leurs mesures directes avec les données de ND280.


Figure 5: à gauche, potentiel de découverte (en nombre d'écarts-types) pour l'asymétrie entre l'oscillation des neutrinos et des antineutrinos en fonction du nombre d'années de prise de données dans HK. Deux valeurs différentes du paramètre δCP, qui paramétrise l'asymétrie, sont testées: -90° correspond à l'asymétrie maximale, comme l'indiquent les résultats préliminaires de T2K, -45° correspond à une asymétrie de 50 %. A droite, fraction des valeurs du paramètre δCP pour lesquelles HK peut découvrir l'asymétrie à 5 (ou 3) écart-types, en fonction du nombre d'années de prise de données.

En résumé, l'Irfu, grâce à sa contribution cruciale au détecteur proche et au détecteur lointain de HK, son expertise unique en physique nucléaire et son rôle de premier plan dans l'analyse de l'oscillation des neutrinos, sera un acteur essentiel des futures découvertes de HK.
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