Mener une double vie est-il la règle ou l'exception chez les protéines ? Certaines protéines ont des fonctions cellulaires très différentes... Au point que la découverte de cette dualité fonctionnelle se fait généralement par hasard. Des chercheurs du laboratoire "Technologies Avancées pour le Génome et la Clinique" ont découvert qu'au moins 3% des protéines humaines pourraient être extrêmement multifonctionnelles car elles sont impliquées dans des processus biologiques sans liens fonctionnels évidents. Ces résultats publiés dans la revue
Nature Communications ont été obtenus grâce au développement d'une méthode bioinformatique permettant d'identifier ces protéines à partir de l'analyse de leurs interactions.
Bien que la multifonctionnalité de certaines protéines soit avérée, il n'existe pas de méthodes permettant d'identifier les protéines multifonctionnelles à l'échelle du protéome. En effet, les protéines multifonctionnelles n'ont jamais été étudiées globalement, en tant que groupe. Elles souffrent donc d'un manque de définition et de caractérisation car seules certaines d'entre elles, telles que P53, ont été étudiées extensivement, mais individuellement. De plus, la fonction des protéines étant principalement étudiée par des approches expérimentales visant à vérifier des hypothèses, la découverte de protéines multifonctionnelles résulte parfois de la convergence inattendue de résultats expérimentaux.
Figure: La double vie probable de WBP4 révélée par l'analyse de son réseau d'interactions. WBP4 est une protéine humaine impliquée dans l'épissage des ARNm (fonction des protéines représentées en rose). Elle pourrait également jouer un rôle dans la réponse à un stimulus venant de l'organisme, responsable d'un changement d'état ou d'activité de la cellule ou de l'organisme (fonction des protéines représentées en vert).
© Christine Brun
Les chercheurs du laboratoire TAGC ont mis au point la première méthode permettant d'identifier, à l'échelle de l'ensemble de toutes les protéines pour lesquelles les interactions sont connues (interactome), des protéines qui présentent une multifonctionnalité "extrême". Ils ont déterminé le portrait-robot de ces protéines en caractérisant une signature de multifonctionnalité extrême. Entre autres caractéristiques, ces protéines sont pour la plupart capables d'interagir avec un très grand nombre de protéines sans pour autant être structuralement désordonnées. Elles sont également enrichies en petits motifs linéaires importants pour les interactions et qui pourraient être à l'origine de leur dualité fonctionnelle.
Cette étude ouvre la voie vers l'identification de protéines "moonlighting" (un anglicisme voulant dire "avoir un deuxième boulot"). Ces protéines ont des fonctions qui varient selon leur état d'oligomérisation, leur localisation subcellulaire, l'état physico-chimique du milieu ou plus généralement, le contexte cellulaire. Par exemple, l'aconitase, une enzyme du cycle de Krebs, devient un régulateur de la traduction lorsque la concentration en fer du milieu intracellulaire diminue. Ces protéines sont particulièrement intéressantes pour la compréhension des pathologies humaines lorsque leurs rôles diffèrent dans la cellule saine et la cellule pathologique. C'est le cas de la protéine RHAMM qui, normalement, stabilise le fuseau mitotique par son interaction avec les microtubules, tandis que dans certaines tumeurs, elle interagit avec le récepteur d'une voie de signalisation dans la matrice extracellulaire, activant la transformation et la motilité des cellules. Enfin, des protéines "moonlighting" pourraient être à l'origine d'effets secondaires lorsqu'elles sont inhibées par des médicaments.