A l'occasion de la 1ère semaine de la protection solaire du 16 au 23 juin 2012, Evelyne Sage, spécialiste de la biologie des radiations (laboratoire Stress génotoxiques et Cancer, Institut Curie/CNRS), revient sur les dangers des ultraviolets qu'ils soient artificiels ou émis par le soleil. Son équipe a montré que les UVA avaient aussi des effets délétères, alors que pendant longtemps seuls les UVB étaient incriminés. Un excès d'exposition aux UVA peut en effet engendrer des cancers de la peau, tout comme les UVB. Parallèlement, plusieurs équipes de l'Institut Curie travaillent sur la biologie des cancers de la peau: l'une d'entre elles vient d'ailleurs de découvrir une nouvelle cible thérapeutique pour les mélanomes de la peau, le plus dangereux des cancers de la peau.
Quel a été votre rôle au sein de la Commission de la sécurité des consommateurs ?
Evelyne Sage: La Commission m'a auditionnée en avril dernier en tant qu'expert scientifique, dans le cadre de la révision du décret encadrant l'usage des cabines solaires. Les études épidémiologiques actuelles nous permettent d'établir clairement le lien entre leur utilisation et la survenue de cancer de la peau. Ainsi une exposition précoce, avant l'âge de 30 ans, et régulière à cette source de rayonnements augmente de 75% le risque de développer un mélanome. Il est donc urgent de mieux encadrer l'accès aux salons de bronzage et d'informer la population.
Il existe différents types d'ultraviolets. Pouvez-vous nous rappeler leurs propriétés ? Y a-t-il de nouvelles données ?
ES: Les rayons du soleil qui atteignent la surface terrestre sont pour 95 % les ultraviolets de type A et pour 5 % ceux de type B. En pénétrant dans l'épiderme les UVB endommagent le matériel génétique, favorisant ainsi la formation de liaisons caractéristiques entre les molécules constitutives de l'ADN. Ces dommages de l'ADN, difficilement éliminés, sont souvent transformés en mutations, transmises aux cellules filles lors de la division cellulaire ; ils peuvent être à l'origine des différents types de cancers de la peau.
Les UVA génèrent eux principalement des radicaux libres responsables du stress oxydant, et, à ce titre, ils ont longtemps été considérés comme responsables du seul vieillissement de la peau. Cependant les UVA sont désormais reconnus pour leur capacité à causer les mêmes dommages de l'ADN et mutations que les UVB, et sont considérés comme cancérigènes pour l'homme. Notre équipe a contribué à établir ces faits.
Les sources lumineuses utilisées dans les cabines solaires émettent-elles le même type de rayonnement que le soleil ?
ES: Tout à fait, mais ces lampes très puissantes émettent beaucoup d'UVA, de 5 à 15 fois plus que le soleil. Elles "miment" un index UV de 12 que l'on retrouve dans les régions tropicales du globe. Et contrairement à ce qu'il est couramment admis, ce sont les UVB qui induisent la synthèse de mélanine –barrière naturelle contre les effets néfastes des UV – permettant ainsi le bronzage. Les UVA oxydent cette barrière et ses précurseurs, ce qui la fragilise. De plus, le bronzage UVA n'est pas protecteur. Le risque de survenue d'un cancer de la peau est donc "double" pour les utilisateurs de ces cabines. Les sources artificielles d'UV ont d'ailleurs été classées "cancérigènes pour l'homme" par le Centre International de Recherche sur le Cancer, au même titre que les UV naturels et le tabac.
La genèse d'un cancer: une mutation peut modifier la structure d'un gène réglant le contrôle de la multiplication. La probabilité qu'une seconde mutation apparaisse et soit sélectionnée est alors plus importante. Une seconde population sera alors générée, plus anormale que la première et va se développer à ses dépens. On peut ainsi accumuler plusieurs mutations, chacune d'entre elles permettant la sélection d'un clone de plus en plus malin pour finir par une cellule hautement cancéreuse.
Illustration: Wikipédia
Nouvelle cible thérapeutique dans les mélanomes de la peau
Dans une publication parue dans Oncogene le 4 juin 2012, une équipe de chercheurs de l'Institut Curie décrit une nouvelle cible thérapeutique pouvant bloquer la formation des métastases chez les patients atteints de mélanome de la peau. Il s'agit de la protéine CSK. Or CSK est une kinase, ce qui signifie pour les biologistes et les médecins qu'elle peut "facilement" être ciblée pour être soit activée, soit désactivée. Reste maintenant à trouver la "bonne" molécule pour remplir cette fonction.
Les cancers de la peau en quelques chiffres
Le terme de cancer de la peau recouvre deux catégories de tumeurs cutanées distinctes:
- les carcinomes baso- ou spino- cellulaires (appelés aussi cancers épithéliaux) qui touchent les cellules épithéliales productrices de la kératine ;
- le mélanome qui atteint les cellules fabriquant la mélanine.
Les cancers épithéliaux (ou carcinomes), tumeurs cutanées les plus fréquentes, sont dix fois plus nombreux que les mélanomes. On constate que leur nombre augmente de cinq à sept pour cent par an en Europe, et que 90 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année en France ; 1 300 personnes en meurent.
Forme la plus meurtrière des tumeurs de la peau, si elle n'est pas diagnostiquée précocement, le mélanome de la peau connaît aussi une forte augmentation de son incidence depuis 1980 en France, avec toutefois un ralentissement depuis le début des années 2000. En France, on estime le nombre de nouveaux cas à près de 10 000 en 2011. Une des causes de sa survenue est l'exposition violente au soleil dès l'enfance, particulièrement chez les sujets à peau claire.