Adrien - Mardi 16 Décembre 2014

Les deux causes du réchauffement brutal de l'Atlantique nord en 1995

Une équipe de chercheurs issus du Laboratoire de physique des océans (LPO/IUEM, CNRS / UBO / IFREMER / IRD), de l'International centre for education, marine and atmospheric sciences over Africa (ICEMASA, University of Cape Town, South Africa) et du laboratoire Sciences de l'Univers au CERFACS (CNRS / CERFACS / TOTAL SA / SAFRAN / EDF / EADS FRANCE SAS / CNES / Météo-France / ONERA) ont utilisé une approche novatrice pour étudier le réchauffement exceptionnel des eaux du gyre subpolaire de l'Atlantique Nord qui s'est produit en 1995. Ils ont ainsi pu montrer que la cause de ce réchauffement est différente, selon que l'on considère les parties ouest ou est du gyre par rapport à la dorsale de Reykjanes et à la dorsale Médio-Atlantique.

Le réchauffement des océans est un bon indicateur des conséquences, sur le climat global, de l'augmentation anthropique des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Cependant, les fluctuations naturelles de la circulation océanique peuvent elles aussi largement modifier le contenu de chaleur des bassins océaniques. Il est donc indispensable de bien comprendre ce qui contrôle ces fluctuations.


Un exemple particulièrement démonstratif de réchauffement d'un bassin océanique est celui survenu en 1995 dans le gyre subpolaire de l'Atlantique Nord.

Ce réchauffement a été attribué à un ajustement de la circulation océanique aux changements de circulation atmosphérique de grande échelle, et plus particulièrement aux fluctuations de l'indice NAO (l'Oscillation Nord Atlantique). Cet indice caractérise les fluctuations temporelles des variables atmosphériques qui influencent, entre autres, la circulation océanique en Atlantique Nord: un indice positif indique un déplacement vers le nord des vents d'ouest et des alizés ainsi qu'une perte de chaleur océanique plus importante en mer du Labrador, et inversement pour un indice négatif.

Bien que les études s'accordent sur l'influence de la NAO sur le réchauffement, en 1995, du gyre subpolaire, des divergences subsistent concernant les mécanismes physiques mis en jeu.

Certains auteurs suggèrent que ce réchauffement a été causé par un changement abrupt de phase de la NAO, qui est passée d'une phase positive en 1995 à une phase négative en 1996. Ce changement de phase aurait induit un affaiblissement rapide du gyre subpolaire (circulation horizontale anti-horaire entre 40°N et 60°N), ce qui aurait conduit à une diminution de l'extension longitudinale du gyre, permettant ainsi aux eaux chaudes d'origine subtropicale de pénétrer plus au nord et ainsi de réchauffer le gyre.

D'autres études suggèrent au contraire que le réchauffement du gyre constitue la réponse lente de l'océan à la phase positive de la NAO qui a duré de 1988 à 1995. Cette période, qui s'est caractérisée par une perte de chaleur importante en mer du Labrador, aurait favorisé la formation d'eau profonde dans cette région et intensifié ainsi la circulation méridienne et le transport de chaleur vers les hautes latitudes qui lui est associé.

Lequel de ces deux mécanismes a effectivement dominé le réchauffement de 1995 ?



Pour répondre à cette question, une équipe de chercheurs du LPO, du ICEMASA et du CERFACS a effectué des bilans de chaleur dans le gyre subpolaire à partir de quatre simulations historiques et validées de l'océan global, réalisées par le consortium DRAKKAR avec la plateforme de modélisation NEMO. Les différences entre ces quatre simulations résident principalement dans leurs résolutions horizontales (trois simulations ont une résolution de 1/4° et la quatrième une résolution de 1/12°), dans les réanalyses atmosphériques utilisées comme conditions de surface et dans les paramétrisations du modèle. Les résultats auxquels ces 4 simulations aboutissent sont considérés comme robustes dans la mesure où elles conduisent toutes, malgré ce qui les différencie, à un réchauffement du gyre subpolaire.


Hauteur de mer dynamique moyenne issue du jeu de données Aviso (http://www.aviso.altimetry.fr/), montrant le gyre subtropical (rouge) et le gyre subpolaire (bleu) séparé en ses deux sous-régions est et ouest.
Outre d'analyser les résultats de quatre simulations au lieu d'une seule, une nouveauté de ces travaux par rapport aux études précédentes réside dans le fait que les chercheurs ont analysé les bilans de chaleur en décomposant le gyre subpolaire en deux sous-régions séparées physiquement par la dorsale de Reykjanes et la dorsale Médio-Atlantique, ce qui leur a permis de prendre en compte les différences entre les masses d'eau de part et d'autre de ces obstacles bathymétriques.

Les analyses des bilans de chaleur montrent que le réchauffement de la partie ouest du gyre subpolaire est dû à une réponse lente de la circulation océanique à la période de NAO positive de 1988-1995. Pendant cette période, l'océan de la partie ouest du gyre a perdu de la chaleur (au bénéfice de l'atmosphère), ce qui a induit une intensification de la circulation méridienne et donc une augmentation du transport de chaleur dans la région qui est venue compenser la perte de chaleur via les flux de surface. Lorsque l'épisode de NAO positive s'est arrêté, les flux de chaleur en surface ont diminué, mais la circulation méridienne est restée intense et la partie ouest du gyre subpolaire a donc continué à être réchauffée par le transport de chaleur de cette circulation, ce qui est en accord avec certaines études évoquées précédemment.


Quant au réchauffement de la partie est du gyre subpolaire, il est dû au changement abrupt de phase de NAO qui a eu lieu entre 1995 et 1996, comme suggéré par d'autres auteurs. Lors du passage à la phase négative de NAO, le déplacement vers le sud des vents d'ouest a induit un décalage rapide vers le sud des gyres subpolaire et subtropical. Ceci s'est manifesté par une anomalie de circulation horizontale cyclonique (sens anti-horaire) centrée à la frontière entre les deux gyres, communément appelée intergyre. Cette anomalie a amené plus de chaleur dans la partie est du gyre subpolaire au travers de sa frontière sud, augmentant ainsi son contenu de chaleur.


Indice de NAO d'hiver (a), anomalies de flux de chaleur (b) et de vents (c) associées à une phase positive de NAO et contenus de chaleur dans la partie ouest (d) et est (e) du gyre subpolaire. Les flux de chaleur sont comptés positivement de l'atmosphère vers l'océan. Sur (b) et (c), la frontière entre les gyres subpolaire et subtropical (contour 0 de hauteur de mer dynamique) est indiquée (contour gris). Sur (d) et (e), chaque couleur représente une simulation numérique réalisée par le consortium DRAKKAR (code NEMO) ; la ligne verticale pointillée indique l'année 1994.

Cette étude met en évidence que les mécanismes mis en jeu sont différents selon que l'on considère la région ouest ou est du gyre (de part et d'autre de la dorsale de Reykjanes et de la dorsale Médio-Atlantique), et ce bien qu'ils impliquent tous deux les fluctuations de la NAO. Ce faisant, elle permet de réconcilier les interprétations divergentes du réchauffement du gyre subpolaire de 1995 apparues dans la littérature.

Les chercheurs suggèrent qu'il devrait être possible, en mesurant les flux de surface dans la partie ouest du gyre subpolaire, de prévoir de futures modifications du contenu de chaleur de cette région océanique. En revanche, les changements de contenu de chaleur de la partie est du gyre seraient moins prévisibles, dans la mesure où l'océan y est particulièrement sensible aux changements abrupts des conditions atmosphériques.
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