Les seiches pourraient utiliser des mouvements de leurs tentacules pour transmettre des messages visuels et vibratoires. Une étude récente explore cette hypothèse intrigante, ouvrant de nouvelles perspectives sur leur intelligence sociale.
Les seiches, connues pour leurs capacités de camouflage et leur comportement évolué, semblent développer un langage gestuel encore méconnu. Des chercheurs ont observé des interactions entre seiches en aquarium, en identifiant quatre signaux distincts réalisés avec leurs tentacules, suggérant une communication sophistiquée combinant postures et vibrations aquatiques. Pour tester scientifiquement ces comportements, ils ont filmé ces gestes puis les ont diffusés à d'autres individus, créant ainsi des conditions expérimentales contrôlées.
Des signaux visuels structurés
L'équipe a observé deux espèces,
Sepia officinalis et
Sepia bandensis, répétant des mouvements spécifiques des tentacules. Quatre "signes" ont été distingués: "vers le haut" (deux tentacules s'étendent vers le haut), "sur le côté" (l'animal ramène tous ses tentacules sur un côté de son corps), "roulé" (la seiche replie tous ses tentacules sous sa tête) et "en couronne" (ressemblant à une personne rejoignant le bout de ses doigts), chacun associé à des ondulations précises.
Pour vérifier s'il s'agissait bien de communication, les scientifiques ont montré des vidéos de ces gestes à d'autres seiches. Celles-ci répondaient activement en reproduisant des mouvements similaires, mais pas en simple imitation: elles adaptaient parfois leur réponse.
Par la suite, les chercheurs ont diffusé des vidéos à l'envers: les seiches réagissaient moins à ces images inversées, ce qui a permis de confirmer qu'elles percevaient et interprétaient l'orientation normale des gestes.
A - Signes ondulatoires à quatre tentacules chez l'adulte Sepia officinalis:
A-1) Signe "up": les premières paires de tentacules sont levées vers le haut, les deuxièmes et troisièmes sont tordues, et les quatrièmes étendues.
A-2) Signe "side": tous les tentacules sont enroulés d'un seul côté du corps.
A-3) Signe "roll": tous les tentacules sont enroulés sous la tête, la faisant paraître plus volumineuse et mettant en valeur les yeux.
A-4) Signe "crown": les tentacules forment une couronne pendant un mouvement de type "crachat".
Les signes sont observés dans divers contextes:
– assis (A-1, A-3, A-4),
– en nage (A-2),
– orientation frontale (A-1, A-2, A-4),
– avec latéralité (A-3),
et accompagnés de motifs de peau contrastés (ex.: taches noires, orange vif) ainsi que de contractions des nageoires.
B - Variantes des signes "up", "side", "roll" et "crown" chez les juvéniles de Sepia bandensis. Une dimension vibratoire inattendue
Les observations initiales montraient que les seiches continuaient ces mouvements même séparées par des obstacles visuels. Ce phénomène intriguant suggérait donc l'existence d'un autre mode de communication. Les chercheurs ont alors compris que les mouvements réalisés par l'animal génèrent des ondes dans l'eau, qui sont détectables par ses congénères sans nécessiter de contact visuel.
Ils ont ensuite enregistré les vibrations produites par ces gestes à l'aide d'un hydrophone. En laboratoire, ils ont diffusé ces enregistrements à des seiches isolées visuellement.
Les animaux répondaient spécifiquement aux vibrations naturelles, et pas aux versions modifiées. Cela confirme qu'ils perçoivent et interprètent ces signaux mécaniques, complétant probablement la communication visuelle.
Cette multimodalité (visuelle et vibratoire) rappelle des systèmes de communication évolués, comme ceux des cétacés. Les seiches pourraient ainsi adapter leurs messages selon le contexte environnemental ou social.
Les scientifiques comptent désormais recourir à l'apprentissage automatique pour décrypter plus précisément ces échanges gestuels. Cette approche s'avère indispensable pour analyser les milliers de variations subtiles des mouvements et leurs contextes d'utilisation, tâche impossible à réaliser manuellement avec précision. Les algorithmes pourront identifier des motifs récurrents, établir des corrélations entre signaux et situations, et peut-être révéler une véritable "syntaxe" sous-marine propre à ces céphalopodes.